Le samedi 9 janvier 2016, à l'assemblée nationale, j'ai expliqué que les colons français avaient substitué l'identité ethnique basée sur la langue maternelle ou paternelle parlée à l'identité clanique qui renvoie à une référence génétique par la référence à l'ancêtre commun tandis que la précédente a une base plus linguistique, c'est-à-dire, communicationnelle. D'ailleurs, l'identité nationale, octroyée à l'indépendance, encore plus artificielle que l'identité ethnique, est aussi une création occidentale. Nous développerons ce propos dans un autre article.
Maître Collard m'a demandé la différence entre identité clanique et identité ethnique. Hélas, je n'ai pas eu le temps de lui répondre. Cet article est un éclairage à l'endroit de tous.
La référence à l'ancêtre commun clanique privilégie le groupe, ce qui relie les uns aux autres dans la chair, dans le subconscient profond, induisant ainsi une solidarité automatique - alors que l'état civil introduit par la colonisation infère une représentation plus individualisante, avec un homme assimilé individu avec ses droits et ses devoirs qui lui sont attachés, un homme avec SON travail, SA parcelle, SA maison, SON salaire, SON diplôme, etc. Nos parents ont adopté des prénoms chrétiens et le nom du père est devenu le patronyme de l'enfant - alors que dans nos traditions le nom de l'enfant pouvait servir à se remémorer et à honorer les ascendants. J'ai été surnommé Loundou du nom de mon grand-père mais ce nom ne figure pas sur mon acte de naissance. Pourtant, c'est ainsi qu'on m'appelle dans ma famille. A l'époque des anciens, je n'aurais pas porté le nom de mon père mais celui de mon grand-père. Peut-être faudra-t-il un jour se passer de prénoms chrétiens, de prénoms français pour retourner vers une authenticité patronymique. Mobutu avait osé le faire avec son authenticité mal négociée. Le poids de la domination coloniale occidentale a fini par renvoyer l'authenticité aux bas-fonds de l'histoire. Dans la tradition des anciens, on est X, fils de Z qui désigne le père même chez les ethnies matrilinéaires. On complète l'identité par le clan d'appartenance suivi du clan du père dont on est le fils.
Qui sommes-nous ? Et que sommes-nous devenus ? La première question, apparemment simple au départ, est plus complexe qu'elle n'y paraît - selon qu'on se définisse de son propre chef ou selon que l'on accepte la façon dont l'autre, l'étranger, nous définit, nous identifie, forcément selon des critères comparatifs à sa propre identité, à sa propre culture. La seconde inclut l'idée de transformation, de changement de représentation, suite à l'esclavage, la colonisation, l'éducation, l'aliénation religieuse. A une échelle moyenne, sommes-nous des Bantou ? Oui, nous sommes des Bantou mais les Occidentaux sont aussi des Bantou, car le concept Bantou veut tous simplement dire "des hommes". Cela ne suffit pas à caractériser un groupe aussi important disséminé sur une grande partie de l'Afrique car un terme générique ne saurait définir une spécificité. Ce qu'était ce groupe à l'origine avant l'arrivée des Blancs, nous l'avons oublié - depuis que nous sommes partis de Sumer. Nos ancêtres se définissaient-ils par rapport à la couleur de leur peau ? Bien sûr que non. Se définissaient-ils par la langue parlée ? Pas essentiellement. Des étrangers vivant au milieu d'eux pouvaient parler leur langue mais il restait étranger bien que culturellement assimilés. Abraham parlait la langue de Canaan, l'hébreu (Esaïe 19:18) - cela ne fit pas de lui un Cananéen, lui qui était un Sumérien ou si l'on veut un Chaldéen (les prêtres chaldéens avaient une origine égyptienne donc nègre). Sommes-nous des Noirs ? Non ! Nous sommes devenus des Noirs au travers du regard du colonisateur qui nous a forcés à nous considérer comme tels, comme de simples épidermes, alors que scientifiquement parlant, la couleur de la peau n'est pas la base de l'identité. Avant de rencontrer des Noirs, il est peu probable que les Celtes, les Saxons, les Gaulois, les Mérovingiens s'identifiaient en tant que Blancs. L'épiderme devient un critère d'identification face à la diversité de faciès. Il en est de même de la langue qui n'est un critère de distinction que lorsqu'on se retrouve devant des populations ou des communautés qui parlent une autre langue. Au sein des Français, on est Basque, Breton, Normand, Corse, Alsacien. On peut prendre la région, l'espace d'habitation comme lieu de différenciation. Cependant, ce qui caractérise l'identité, ce n'est pas de se définir par rapport à autrui mais à soi-même. L'être est être selon ses propres attributs - sans que la comparaison à autrui soit nécessaire. La Bible l'a bien compris puisque les Anakim sont les géants de la postérité d'Anak, les Cananéens sont les descendants de Canaan et les Sémites, descendants de Sem. Telle est la seule façon valable de définir l'identité. Cela n'a rien à voir avec la couleur de la peau ou la langue parlée. Si on définissait un peuple par la langue parlée, puisque l'hébreu est selon la Bible la langue de Canaan, alors les Cananéens sont les Hébreux...
Mes pères parlaient une ou plusieurs langues mais se se définissaient pas par rapport à elles ; ils avaient une définition ontologique qui renvoyait à l'ancêtre commun réel et non mythique (car cet ancêtre commun existait vraiment pour avoir imprégné la mémoire de façon indélébile) en ligne matrilinéaire ou en ligne patrilinéaire et se proclamait fils du clan de l'autre parent. En ligne matrilinéaire, on est membre du clan de sa mère et fils du clan de son père. Le mariage étant régi traditionnellement par l'exogamie qui est un succédané de la prohibition de l'inceste, on prenait femme dans un clan autre que celui de sa mère pour éviter les pièges de la consanguinité, le mariage lui-même étant considéré plus ou moins comme l'alliance entre deux clans. Les Tékés ne sont Tékés que par rapport aux Yakas, par exemple. Au sein de la société orientée linguistiquement tékée, les hommes ont une identité clanique.
C'est la mixité urbaine artificielle entraînée par les premières villes coloniales qui a poussé les Africains à se distinguer vis-à-vis de ceux qui ne parlaient pas la même langue qu'eux de cette façon, juste pour se distinguer car la vraie forme d'identité était le statut de mussi, de mushi, de muissi kanda. On se présentait ainsi auprès des autres : Je suis X du clan Makanda, fils du clan Y, on pouvait éventuellement préciser le nom du père si nécessaire.
Avant l'arrivée des Occidentaux, nos ancêtres étaient des mushi, des muissi, des mussi kanda et non des Tékés, Vilis, Laadis, Koongos, Mbochis, Likoubas, Sanghas, Bembés, Yaka, Lumbus, Punus, etc. Identifier quelqu'un juste par la langue est une invention occidentale au travers de l'état civil comme ils ont inventé une identification raciale épidermique. Avant la rencontre avec les Occidentaux, nous ne nous considérions pas comme des Noirs, une représentation méprisante, infériorisante d'une population qu'on voulait absolument réduire en esclavage. Quand on affirme que Cham est l'ancêtre des Noirs, Japhet celui des Occidentaux et Sem celui des Juifs, on mélange les registres, d'un côté, on institue la couleur comme critère distinctif de l'autre, on brouille les cartes car les Occidentaux et les Juifs sont blancs mais ce n'est pas le plus grave : on élude la question fondamentale de l'origine. Quelle est donc la couleur de Noé pour qu'il ait un enfant Noir ? A cette difficulté, on arguera que Cham n'était pas Noir à l'origine mais il le devint après la malédiction de Canaan par Noé. Or, il n'a pas été maudit à changer la couleur de sa peau mais à devenir l'esclave de ses frères ! Et comment expliquer que les Juifs furent esclaves à Babylone, un pays fondé par Nemrod, un descendant de Cham ? Si les Chamites avaient été maudits, comment expliquer que les Hébreux aient été esclaves en Egypte ? Cela ne tient pas une seconde, même du point de vue biblique. Noé, l'alcoolique, n'est pas Dieu pour maudire jusqu'à perturber l'ADN ! Aucun scientifique sérieux ne croirait que d'un père et d'une mère de race leucoderme puisse naître un enfant "noir". Cela ne tient pas. UN "NOIR" NE PEUT NAITRE QUE D'UN "NOIR" ET D'UNE "NOIRE". C'est aussi clair que de l'eau de roche. L'ADN ne triche pas et ne ment pas. Certes, on peut manipuler l'ADN mais c'est une autre histoire.
L'identité, c'est l'origine, la référence à la semence primordiale car la langue d'une communauté peut changer dans le temps au travers des migrations, des contacts, par emprunt, diffusion, adoption, évolution, coercition (colonisation ou esclavage) mais l'origine, elle, ne change pas. C'est la référence à l'ancêtre qui nous définit - plus que la langue que nous parlons. La langue n'est qu'un moyen de communication et parler la même langue ne signifie pas que l'on ait la même origine, la même identité culturelle. Communiquer est né de la nécessité d'échanger, de se comprendre.
Pour revenir au sujet abordé, lorsque les colons français établissent l'état civil, ils se trompent en consignant la langue au lieu du clan, créant ainsi une identité artificielle qui deviendra plus tard source de conflit. En effet, il y a un avantage certain à l'identité clanique car elle est d'ordre génétique par l'allusion absolu à l'ancêtre commun et surtout, elle pose le principe de la primauté du groupe sur l'individu. De plus le clan est trans-ethnique, transtribal car il pénètre plusieurs ethnies en les soudant par les liens matrimoniaux. Pour le comprendre, c'est très simple : il suffit de se dire que la femme est le principe mobile de la société traditionnelle. Avec le mariage, elle peut se déplacer d'une ethnie à une autre, d'une tribu à une autre, d'un espace culturel à un autre. Cependant, elle garde sa qualité de Mushi, de mussi, de muissi et en société matrilinéaire, ses enfants hériteront de son clan - même s'ils ne parlent pas la langue de leur mère. Si une femme Makanda ou Dikanda épouse un bembé et se déplace de son Niari natal à la Bouenza et que par la force des choses elle et ses enfants adoptent la langue et la culture bembée, il n'en demeure pas moins qu'ils sont toujours des Makanda ou des Dikanda, des Mindzumba ou des Mindzimba, selon la prononciation. Si un colon français leur établit un état civil juste au travers de la langue parlée, madame X et ses enfants seront des Bembés.
Si les Africains plongeaient au fond de leur clanité qui est une recherche de l'origine commune et des alliances qui ont conduit jusqu'à nous car on ne peut naître que de deux personnes, il y aurait moins de guerres tribales. Or, on ne regarde désormais plus qu'à l'ethnie et lorsqu'on ne parle pas la même langue, si le critère de grégarité est linguistique, l'autre devient un étranger - même si on est du même clan, même si dans le fond des âges, on a la même origine.
Après six siècles de domination occidentale, nous sommes devenus des déracinés, des acculturés à identité artificielle, des êtres sans épaisseur culturelle. Nous avons subi une acculturation dont les effets néfastes se font encore sentir jusqu'à présent, une acculturation qui est passée par la violence et l'humiliation de la servitude, la domination coloniale, l'éducation, par l'école, le lycée, l'université, la consommation de produits manufacturés. Et le pire est que nous transmettons cette aliénation culturelle, ce déracinement identitaire, cette acculturation avilissante à nos enfants par l'éducation. Les Noirs déportés de force aux Amériques par les esclavagistes ont tout perdu : leur identité a été totalement falsifiée, en commençant par le nom et la religion qui a aussi ajouté à cette aliénation. Devenus des êtres déracinés, nous sommes facilement dominés et nous avons même fini par assimiler la culture de notre oppresseur comme la nôtre, une culture qui nous infériorise et nous avons intériorisé le complexe d'infériorité paralysant ainsi notre génie créateur (selon Pigafetta, le royaume kongo produisait la plus pure des soies, par exemple). Bref, nous avons accepté notre infériorisation culturelle et non génomique. Nous avons aussi perdu notre mémoire et ayant perdu la mémoire, nous avons perdu notre histoire. Et sans histoire, les Occidentaux nous manipulent et nous opposent les uns aux autres. Opposés les uns aux autres, nous sommes désunis et ils en profitent pour piller nos pays, notre continent.
Il faudra se désaliéner. Comment ? Par la culture et l'éducation orientées vers notre propre identité, notre propre culture, notre propre histoire. Personne ne se développe avec la culture et l'histoire d'un autre ; c'est plutôt le mécanisme de l'asservissement. N'acceptons plus que quelqu'un qui vient d'ailleurs vienne nous définir et nous dire qui nous sommes car nous n'avons besoin de personne pour être ce que nous sommes. Pour nous, adultes, il faut parler de culture d'enculturation et pour les enfants innocents qui naissent, il faut passer par l"éducation, par l'école. Il faut que l'Afrique parvienne un jour à édifier la première génération africaine désaliénée parce qu'elle aura recouvré sa véritable identité. L'esclavage, c'est accepter de se regarder comme le maître veut que l'on se représente et se résigner à occuper la position qu'il a prévue pour nous. L'infériorisation est un complexe de caste, une castification immuable de race. Il faudra renoncer à se voir dans les yeux d'autrui et commencer à se voir selon notre propre regard. Le salut de l'Afrique passera par là.
LION DE MAKANDA, MWAN' MINDZUMB', MBUTA MUNTU