RACINES NOIRES DE LA CREATION
Au commencement était la nuit, et la nuit était gestation et feu.
Silence, douce mater, ma Nyx ! Un péché neuf nous naisse de ton ombritude
A la couleur anthracite, à la chevelure ulotrique et à l'œil debout !
Viens à moi, esthésie, fais-moi parousie dans une étreinte séminale et sauvage
Le germe et moi t'honorons dans un coït qui fait sens et vie.
Viens et m'épouse, moi la terre, viens et me vive ici et maintenant,
Toi, l'âme de la force dense, mère des pulsations premières
L'onde pleine du vin enivrant des hymnes de la substance.
Viens et me parle dans la forme se cherchant qui accouche du sens.
Mystère de l'aura, habitons d'abord la morphe brute
Et l'obscur et les ténèbres et le Noir. La césarienne est déhiscence.
Joue de ta vigueur de feu, ô terre virile et phallique ! Jouis, oui, orgasme !
L'onde t'étreint de sa tendresse pour que tu deviennes Verbe.
Hourra ! Un péché chtonien nous est né Nègre à la lippe épaisse!
Il est le premier, il sera le dernier à jouir de la chaude densité de l'Etant.
Là-bas où l'eau boit la terre, le feu et le sens, là-bas où la glaise est braise,
Un corps brut et abrupt, un cœur noir habille la rencontre animal-homme
Et tous les chœurs denses des cœurs qui chantent dansent.
Noir, lumière aveugle d'une peau de nuit,
Noir, épiderme crépu d'un corps humain, fétichisme de l'être,
Noir, source obscure du cosmos éveillé, tu es la tête tu es l'alpha.
Noir, plénitude et densité de l'être pur et nu, nu et avide de vie,
Noir symbole intérieur d'une vérité sans couleur pour la vie qui se suffit
Expression des choses qu'on ne chosifie pas par amour.
Et clignent dans la nuit tous les yeux dans des jeux de feu, d'eau et de lumière.
Noir, blancheur d'une âme qui ne se cherche pas, suffisante,
Noir, Genèse du temps humain, celui-là est l'autochtone celui qui est Un.
Noir, question originelle sans réponse du silence ignorant et solennel,
Noir, beauté laide, belle laideur de la terre brute qui s'essaie
En mélangeant nerveusement ses principes dans la hargne de la hâte créative.
Noir, matrice du savoir mystagogue, qui initias le monde au lait de Misraïm
Toutes les sciences de toi procèdent et de tous les arts tu fus maître.
Noir, ne l'es pas, tu chantes et enseignes: « Soyons juste pour Etre ».
J'étais pauvre et misérable portant les miasmes du déshonneur
Voilà, qu'Histoire, tu me révèles père de toutes les âmes terrestres,
Héritier spolié d'un monde parricide et honteux de ses origines.
Il ne viendra pas car je porte en moi tous les Messies de chair et de sang.
Un jour quand ils auront commis l'irréparable humanocide ils sauront.
LION DE MAKANDA
A MA MERE
A celle qui me donna ses mitochondries
Vous qui avez fait de la joie de vivre la quête des quêtes,
Si vous voyez Hédon, dites-lui que ma chair n'a plus de ressentir.
Une seule présence était à elle seule le sel de toutes les présences :
Mère, tu étais à toi toute seule tout un Monde, tout un Paradis
Qui éclipsait tout l'Univers et tu me suffisais.
A présent, j'ai la solitude comme compagne jusqu'à nos retrouvailles.
Ondines, si vous voyez Bacchus, à lui je demande la fin des Bacchanales
Car peu m'importe de boire avec les Dieux ou l'ambroisie ou le nectar.
A Enoch, je supplie de demander au Très-Haut une étincelle d'Adoel ;
Il fait si sombre et toute vie a perdu de son luisant :
Mère s'en est allée avec une partie de moi qui était Joie.
En ce dernier jour où je la vis pour la dernière fois,
Elle marchait au milieu de la route et je me suis retourné
Pour contempler ses yeux toujours mi-clos sur son visage serein.
Je suis parti sans te dire au revoir : mon deuil éternel sera ma coupe.
Mère m'a laissé seul avec moi-même et mon amour pour elle
Et je suis orphelin par ma dette de la monnaie de son amour.
A présent que tu es partie dormir pour toujours le silence
Dans ta demeure sous terre proche des flancs de la Louessé,
Au bord de la route comme le voulait ton nom NZILA,
Je sais que les affres de la toujours triomphante mort
Me guettent et m'attendent comme un destin imparable.
Ainsi sont la vie et la mort comme deux versions d'une même chose.
Dans ma puérilité abstruse d'enfant amoureux à vie,
Je te croyais, mère, Immortelle, comme la fille d'un dieu païen :
Mère jamais ne mourra ! Mort, jamais tu ne nous prendra elle et moi !
L'amour est notre éternité !
De même que la chair de l'éléphant renfermerait dit-on
toutes les chairs et tous les goûts,
Tu incarnais, mère, toutes les femmes du Cosmos
et je les ai toutes aimées en toi.
Pour mes yeux saouls de lait maternel,
Tu étais la plus belle image qui soulage l'âme,
Le plus merveilleux des miracles du matin,
La plus fascinantes des formes,
Un avatar divin concentré d'amour,
Un astre plus éblouissant que le soleil.
Symbole de mon enfance éternelle,
Tu étais Mère, la plus belle raison pour ne pas grandir.
...
A présent,seule te ressuscite le souvenir,
Femme à la démarche aussi légère, aussi flottante
que la rosée et la brume du matin.
Toi, la Néfertiti de mon iris noir,
Toi, ma première de tendresse.
Sache, si tu peux m'entendre encor
Qu'il n'est sur terre ni ailleurs dans toutes les galaxies
Etre que j'ai aimé ou haï plus que toi pour une seule et même raison :
Tu me mis au monde.
Pour célébrer à ma façon le printemps des poètes, je mettrai progressivement quelques-uns de mes poèmes...
CES DIVINS MONSTRES HUMAINS (poème en vers)
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Chaque peuple, petit ou grand, produit des monstres Nés de sa chair, nourris d'amour, inoffensifs Quand, enfants, ils sourient aux adultes pensifs Admirant ces destins pleins de passions rustres Que personne ne voit tant ils sont innocents
Et vivent parmi nous comme de petits anges Opérant des larcins, proférant des mensonges Qu'on fustige en public par des gestes puissants, Disant des vérités qui bien souvent nous étonnent Mais restent enfants malgré leur vif esprit
Qui sait se distinguer dans la foule qui rit
Et qui sent dans leurs voix mille démons qui tonnent. |
Ces monstres désormais tout-puissants ont pleuré, Ont eu peur de la nuit, se sont sentis fragiles,
Se sont vite blottis dans de grands bras agiles, Ont crié sous la faim, ont même déliré, Demandant si te soleil était œil ou lampe,
Si le vent et la pluie étaient de puissants dieux, Fils de Zeus traversant la terre d'un air odieux,
A cette heure du soir où la couleur rampe.
Un jour, ces cœurs grandis par toutes ces passions Ont réclamé leur dû : la couronne de gloire,
La seule attention qui marque la mémoire
Par l'extrémité de toutes émotions. |
Nos vices plus que nos vertus germent, terribles Divins et absolus dans mille souverains.
Les démons et les dieux sont en nous souterrains;
Ils viennent au grand jour dans des hommes horribles. Cette soif de pouvoir qui trop grandit un jour
Comme une fleur voulant de toute la lumière, Oubliant qu'elle fut aussi vulgaire terre,
Fleur qui va réclamer du peuple tout l'amour,
Droit de vie et de mort sur toutes les personnes,
Sur tous les végétaux, sur tous les animaux,
Voulant tout régir, les biens comme les maux,
Va prendre esprit et corps dans des âmes sans bornes. |
Ces maîtres du destin ont toujours tout détruit
S'ils voient sur leur chemin la moindre résistance
A leur projet: celui de vêtir la puissance,
Cette sensation que le peuple construit
Quand il s'assujettit de sa volonté propre
A subir des tyrans malheur et déshonneur,
En espérant pourtant qu'ils feront leur bonheur. L'espoir d'un lendemain gai rend le sort moins âpre. Les dieux sont tous humains; les démons le sont plus. Quand en nous le mal a germé, le bien nous quitte; Un rêve d'absolu désormais nous habite.
Toutes nos bonnes mœurs jamais ne seront plus. Les monstres, désormais humains, hantent l'Afrique; Contemplez la folie à l'œuvre, mes amis!
Nations de tribus, de frères ennemis,
Les peuples africains aiment le chaotique.
Pour peu qu'ils recevront du monde occidental,
Les nouveaux Présidents de nations fictives,
Chefs d'Etat corrompus aux valeurs répressives,
En prendront la moitié pour leur plaisir mental: Celui de posséder la gloire et la richesse.
Etre Dieu sans l'argent, qui peut vous admirer?
Le pouvoir sans les sous ne pourrait pas durer: Etre fort, c'est ignorer la délicatesse. |
Le monstre vit en nous; tous les Noirs sont pareils: Tous rêvent de pouvoir, tous rêvent d'être riches; Oui, hors du palais, on se bat pour des miches.
A bas la pauvreté! Vive les sous vermeils!
Tant pis qu'ils soient entachés du sang comminatoire, Du sang vindicatif des saints prédicateurs
Ou du sang innocent de nos cultivateurs.
Pour nos grands rois, ce sont des détails de l'histoire. Quand la maturité de la soif d'absolu
Atteint son apogée, on redevient esclaves
De toujours obéir aux divines voix graves.
Chaque peuple a son dieu, chaque peuple a son élu.
Lyon, 1998. |
LECON DE CHOSES
Chercher Dieu dans le tout, oser lire son œuvre, Dépasser notre foi, comprendre sa manœuvre Qui parfois semblerait parfaite, sans erreur, Saisir son action, pénétrer sa terreur
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80
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Sans prêcher dans l'horreur, cerner l'abominable, Voir dans l'indésiré l'envers de l'adorable,
La semi-liberté car tout n'est pas parfait,
La contradiction délivrant son forfait.
Voir la création toujours inachevée
Comme si l'Esprit cherchait l'image rêvée
Mais jamais retrouvée au milieu des destins Toujours plus nombreux qui vivent en clandestins, Telle est la passion de ma courte existence.
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Ils jettent l'Ouvrier, préférant la substance;
Ils ignorent l'Artiste, admirant le tableau;
Ils s'émeuvent de tout, du soleil et de l'eau
Mais n'ont pas peur de lui pour saccager le monde. Chaque jour, chaque nuit, ils versent dans l'immonde. Ils parlent de hasard et d'évolution,
Ne respectent rien, font la révolution,
Se voient eux-mêmes dieux, se comportent en maîtres, Se croient intelligents et, sur des kilomètres,
Etablissent des lois pour bâtir l'avenir
Mais ignorent souvent comment les maintenir.
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La douleur fait douter même l'esprit de l'ange Et dans la pauvreté, la souffrance mélange L'œuvre et le Créateur au mépris du Second Oubliant qu'II a fait un univers fécond,
Ne voyant qu'après coup qu'il était à détruire Car l'œuvre n'était faite que pour instruire.
Dieu finit son brouillon chargé d'émotions,
Le contempla mais vit trop de pulsations Parcourir toute vie et toute créature
Ivre de liberté, hélas trop immature.
Il vit l'éternité des êtres audacieux,
Dispersa son génie aux quatre coins des cieux Et cacha ses secrets dans la voix du silence, Exposant les reliefs tapissés d'insolence.
Tous ses dix doigts furtifs furent insatisfaits
Car Il ne put changer et corriger les faits.
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Toute créature naît pour engendrer un ordre Du désordre mental, d'une idée à retordre. S'II veut perfectionner sans bouleversement, Il doit gommer l'erreur à chaque mouvement, Non pas la forme mais l'émotion fissile,
La pâte à modeler se montre difficile.
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L'on comprend le pourquoi d'un Univers mouvant
Qui tient le chic cuisant d'un ouvrage émouvant.
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GUERRES !
Quand coûte que coûte s'imposer volonté(s) sur volonté(s),
Quand la parole vêtue de mots ne plus suffire pour convaincre
Et que coûte que vaille posséder la terre de toutes les convoitises,
Les hommes, les biens, les vies, l'air, l'eau, les pierres qui brillent,
Et guerre de germer, et glaive de se lever et frapper à mort.
Ils se haïssent et deviennent ennemis sur commande - sans se connaître,
Ils se combattent de toute leur vigueur sans se détester
Avec pour unique loi :"Vaincre ou mourir, tuer pour survivre"
Lève l'oeil, mon fils, et vois myriades sur myriades s'entre-tuer !
L'homme tue pour une idée ; la bête tue pour survivre,
L'homme tue pour assujettir les vivants ; la bête tue pour se nourrir,
L'homme tue pour tuer, la bête tue par nécessité vitale.
J'ai vu le bras long et musclé de l'injustice, un bras de feu,
Lever le drapeau blanc de l'innocence, dans la main gauche,
Une kalachnikov et un livre saint dans la main droite, en riant.
L'obéissance ou la mort, telle est leur devise miroir
Inscrite au frontispice de l'histoire depuis le premier chef.
La force de la raison est aussi la raison de la force.
Que reste-t-il à ceux qui n'ont que la force de leurs idées,
La force de leur liberté, la force de leur raison ?
Ils combattent armés de la terreur de leur mort
Quand ils ne veulent pas obéir à la volonté armée.
Cette guerre d'un genre nouveau est celle du faible en armes,
Celle du terrorisme par-delà sainteté et folie.
On s'est battu et on se bat encore pour la terre du bon Dieu silencieux,
Dessinant des parcelles d'autorité selon la force et l'argent, l'argent et la force.
Folles passions d'une poignée de maîtres incendient la terre
Car la gourmandise est de tout posséder de gré ou de force.
Ils ont instrumentalisé la mort pour le triomphe de leur volonté
Et le sceptre de l'Apocalypse est brandi pour domestiquer
Par la peur du feu ceux que l'on veut maintenir dans la servitude.
L'appétit des rois et la folie des saints nous promettent des guerres
Qui saigneront encor et encor ceux qui auront tort d'exister pour obéir.
J'entends crier le sang des innocents le long des âges,
J'entends pleurer les victimes du glaive et du canon.
Guerre ! Terreur ! C'est l'invention de l'homme
Fatigué de mourir de mort naturelle dans son lit douillet...
Quand la violence des volontés opposées par autrui
Se fait violence des chairs et des os par l'outil qui tue,
Quand le triomphe des passions guerroie à feu et à sang,
La main du laboureur romain s'arme de mort et abat le coeur qui bat.
Vivre ou mourir ! Tuer pour tuer ! Vaincre, c'est tuer pour vivre;
Le sang des forts en art martial fait couler celui des faibles :
L'autre doit périr au nom du roi, l'autre, la volonté ennemie.
Guerre ! Mort ! Mon meurtre ne m'appartient pas :
Je suis un soldat et je prête ma main au souverain
Qui dispose de ma vie et de main, lui qui absout mon crime.
Ils sont morts pour la patrie ; l'héroïsme du guerrier est sacrifice.
Ils sont morts pour le souverain. vive le roi, qu'il règne jamais !
L'holocauste n'est pas pour Dieu mais pour l'homme.
J'ai tué mon ennemi qui ne m'a rien fait au nom de mon roi
Et mon âme est soulagée de rester en vie. victoire !
Ordonne, ô roi, que ma main soûle devienne mort !
La patrie est née du sang mis en commun pour la gloire du roi.
Oubliées nos vindictes de tous les jours et la monotonie
Des jours tournés vers la quête du pain quotidien et d'un peu de joie;
Seul compte l'étendard coloré qui est l'emblème de la nation.
Ne pleure pas, fils de la nation, la vie te pourvoira un autre père !
Ne pleure pas, fille de la nation, le pays te donnera un autre époux!
La terre a bu le sang de ses enfants sans sourciller, la bouche cousue,
La mort passe en rires et en pleurs, la vie continue, les guerres reviendront.
Ainsi naît un monde nouveau, un monde qui tue et qui oublie.
Mouvimat IBOUANGA LOUNDOU, in "L'amertume du vin doux de l'exil", 2004