Mwan Didjab, marambuha. Mwa buranga. Une langue s'apprend depuis le ventre de sa mère. Elle ne fait pas de vous automatiquement le membre d'une communauté, d'une tribu mais au travers d'elle, vous accédez à des valeurs, à une vision du monde, à un modus vivendi et peut-être un modus operandi, bref, à une cuture. La langue participe à la façon d'être, de sentir et de penser. Ensuite, il faut la partager par la communication (influx entrants et sortants). Associée à la consanguinité, à l'histoire et à l'environnement, elle participe à la parenté, à l'ethnie, à l'appartenance à un peuple. Une langue est un outil de travail collectif. L'exercer ne fait pas de vous un membre du peuple autochtone si vous n'avez pas la distance génétique et l'immersion suffisantes dans l'environnement humain correspondant.
Les Grecs apprenaient l'égyptien ancien pour accéder à sa science, sa religion et sa sagesse. Tous n'accédaient pas à la prêtrise. Diogène Laërce nous apprend que Pythagore apprit l'égyptien tout comme le sage Solon ou Orphée avant eux car il fut contemporain de Moïse. De retour en Grèce, ils enseignèrent en GREC les connaissances reçues de la terre de kemetiou EN LANGUE KEMITE, Egypte, terre noire. Tout fut sublimé par la richesse des radicaux de la langue grecque et par l'appropriation individuelle de ce qui était savoir collectif à Mizraïm. L'Europe aujourd'hui prétexte encore le miracle grec là où il n'y a qu'un mirage grec. Des dieux à sa science, la Grèce copia l'Egypte. La Grèce réussit à transposer en langue grecque ce qu'elle reçut en langue égyptienne. Nous aurions pu faire pareil avec le français. Hélas, c'est une autre histoire ! Pythagore fut admis exceptionnellement à la prêtrise égyptienne. Pour preuve, les prêtres égyptiens ne mangeaient pas de fèves. Pythagore préféra être assassiné que d'entrer dans un champ de fèves pour s'enfuir avec ses disciples. Cela atteste qu'il accéda à la prêtrise. Sans nul doute, dut-il aussi être circoncis.
Je parle Punu, Tsangui, Kikongo (et non kituba), lingala, lari, un peu le vili, le français, l'anglais. Je lis l'hébreu et ne le parle pas faute de locuteur, commence à apprendre l'égyptien ancien en autodidacte, etc. Je comprends plusieurs langues comme le kugni, lumbu, buissi, téké. J'ajoute aussi que je lis le grec. Ma connaissance du latin est sommaire. Comment vais-je me définir dans ce multilinguisme ? J'ai transcendé la langue pour n'y voir qu'un métacode socio-historique. Au fond de moi, je me sens muntu, moto. Humain. La langue n'est qu'un véhicule d'échange comme la peau est un artefact de distinction.
L'expression linguistique ne fait pas le tribalisme. La langue est un véhicule culturel et la culture sert à aplanir les relations sociales en facilitant la collaboration par la compréhension simplifiée. Aussi, celle qui sera la plus parlée sera celle de la culture dominante ou celle du partage le plus large. Et cela vaut selon l'espace. Le milieu urbain est peu propice à l'éclosion des langues maternelles à cause de la rue et de l'école ; il favorise donc plus les langues nationales mais c'est à domicile que doivent s'épanouir les langues maternelles. En France, nombreux sont les fils de nos compatriotes qui ne parlent pas un mot de nos langues nationales parce que les parents s'expriment en français. Ce n'est pas le cas chez les Maghrébins où les rejetons s'expriment aussi en arabe.
La langue non connue par ego est un différentiel d'opacité qui permet d'entretenir le secret. Entendre une langue n'est pas la comprendre ; il y aura toujours le déficit du sens, du signifié. Hier, je parlais en kikongo, notre langue nationale, avec mon neveu, dans un supermarché ; nous avons eu la surprise de constater que la vieille Française devant nous avait tout compris juste parce que l'on avait glissé un mot en français : semaine. Elle a répondu : "en effet, ces courses ne dépasseront pas la semaine..." Dans le conteste, les mots définissent des univers linguistiques par des liaisons implicites avec d'autres mots.
Ma mère parlait en tsangui et mon père lui répondait en punu. Echange linguistique bilattéral. En face du non renoncement linguistique, il se produit un double effort de compréhension. J'ai pu ainsi apprendre à parler les deux langues. Pour parler la langue maternelle, il faut être au moins deux à la partager. Mes parents comprenaient la langue de l'autre mais continuaient à échanger dans leurs langues maternelles respectives. La langue Tsangui est un dérivatif téké. Le punu intègre une communauté linguistique qui comprend le lumbu, le buissi, le vili, l'échira, etc. Deux univers linguistiques qui semblent à l'opposé l'un de l'autre. Et pourtant...
On devrait enseigner nos langues maternelles à nos enfants ou leur parler dans celles-ci. La langue maternelle crée un rapprochement affectif par le partage d'un univers commun cognitif et culturel mais cela ne suffit pas à dégénérer en tribalisme. Peut-être peut-on parler de communautarisme mais dans un espace multilinguistique, la nécessité d'un interlangage se fait sentir. Certains espaces n'ont pas pu générer une langue nationale. La langue du colon a comblé la lacune.
La langue maternelle ou n'importe laquelle réduit la distance qui caractérise l'étrangeté voire l'étranger. Celui qui parle ma langue est proche de moi car il frappe et pénètre directement dans mon conscient et interpelle mon subconscient. Il y a tendance à lui faire une confiance instinctive par rapport à celui qui parle une langue inconnue. Même si cela prédispose à un favoritisme au moins communicationnel mais il faut un peu plus pour en arriver au tribalisme. Que deux Mbochis, deux Tékés, deux Punus, deux Yhombés collaborent dans leur espace géolinguistique ne dérange personne mais que le choix à l'échelle nationale se fasse sur la base d'un favoritisme linguistique - alors que cela n'est pas nécessaire, il y a tribalisme. Que l'on distribue les droits de tous à quelques-uns sur la base d'une proximité linguistique, c'est du tribalisme. Le tribalisme est un phénomène politique qui exploite une proximité linguistique. Si au moins, on prenait des compétences à l'intérieur de l'ethnie pour les mettre au service du pays ! Or, l'appartenance ethnique, plus que la compétence ou la langue est le seul critère de sélection. Il y a comme une complicité implicite dans le fait de parler une même langue, de venir d'un même espace culturel. Cependant, si cette proximité se fait au détriment du destin national commun, nous nous retrouvons dans une situation de colonisation. C'est ce que nous vivons au Congo de nos jours.
Il appartient à chacun de valoriser sa langue maternelle comme un trésor historique, génétique. Sans pour autant en faire un élément de ségrégation, de division. Et si bissi Didjab se rassemblaient pour revaloriser leur langue maternelle ? De temps en temps, un retour groupé au village ferait du bien. L'universalisme est souvent une culture particulière qui a réussi à éclipser toutes les autres soit par la conquête, soit par l’échange, soit par nécessité.
Nous sommes ce que nous sommes. Cependant, ce n'est pas une raison de rejeter les autres au nom de la différence. Surtout lorsqu'on entend mettre en commun tous les destins individuels et spécifiques dans une histoire commune. La différence n'est une richesse que si elle se transcende dans la ressemblance. Nous n'abattrons le tribalisme et le régionalisme que lorsque l'identité nationale deviendra plus importante que notre identité ethnique ou régionale. Il ne s'agit pas de nier son identité spécifique, il est plutôt question de choisir comment l'exprimer sans qu'elle ne nuise à la cohésion nationale, une cohésion qui reste à construire au travers des ressources de tous apportées à chacun et inversement.
LION DE MAKANDA, MWAN' MINDZUMB', MBUTA MUNTU