Cher X,
il y a à mon humble avis deux sortes d'histoire : une histoire passive et une histoire active ou histoire construite. Par histoire passive, j'entends une histoire qui se fait au travers de facteurs exogènes comme la colonisation, la conquête, la guerre, etc. Par histoire active, j'entends une histoire volontariste, construite qui ne laisse pas la nature faire l'essentiel des événements mais qui force les choses, les assujettit et modèle les structures humaines selon la culture d'une certaine volonté de domination. En gros, les deux histoires se chevauchent, s'entretiennent jusqu'à se normaliser dans des formes assez supportables comme nos fausses indépendances...
Ces deux concepts sont très essentiels pour comprendre ce que sont les peuples africains et les peuples colonisés en général et le peuple congolais en particulier. Nous avons subi l'esclavage, la colonisation et une forme plus subtile de colonisation appelée "néocolonisation" qui est tout simplement une colonisation féodalisée. Explication : la féodalité est un système politique dans lequel le vassal a une structure sur laquelle il règne au nom d'un souverain plus grand qui ne peut pas exercer son autorité lui-même car il n'a pas le don d'ubiquité pour être partout à la fois. La colonisation féodalisée est comme une sorte d'autonomie proclamée mais dans la réalité, c'est le système dominant qui exerce les grands choix structurels pour le compte de la satisfaction de ses propres intérêts. De manière plus diplomatique, ça s'appelle donner "l'indépendance". Mais tu conviendras, l'indépendance ne se donne pas mais s'arrache et tout ce qui en politique est prétendu "donné" est souvent un leurre. Ce qui est pris par la force ne peut être repris que par la force mentale ou juridique. Cependant, dans le cas des colonies, il n'y a ni force militaire suffisante pour discuter d'égal à égal avec le colonisateur, ni assez de puissance internationale pour faire entendre sa voix, vu qu'on est une entité qui vient à peine de se créer par le biais de l'indépendance. Le point le plus fort de ces soi-disant indépendances est le suivant : des pays comme le Congo héritent d'un système qu'ils n'ont pas créé, un système qui a été conçu pour enrichir son créateur et cela continue en dépit des apparences. Par quoi ? D'abord le pouvoir monétaire. Pourquoi y a-t-il toujours le franc CFA ? "CFA", je te signale signifie : "Colonie Française d'Afrique". Alors, comment expliquer que les ex-colonies françaises sont toujours au franc CFA dont la validité internationale est garantie par le franc français ou l'euro ? Avant même le passage à l'euro, En gros, nous sommes un pays indépendant mais sur le plan du système monétaire, nous sommes toujours une colonie ! Et ça, De Gaulle l'avait bien compris, lui qui grâce à son fidèle lieutenant Foccart s'assura que ceux qui dirigeraient les colonies françaises seraient bien des agents de Le système construit par La colonisation encore un côté qu'il te faut comprendre : il s'agit d'une structure totalement abstraite, construite car avant, n'existaient que des ethnies, des tribus et des embryons de royaumes qui avaient fortement été affaiblis par l'esclavage. Souvent, à cette époque, on voyait des mulâtres exercer le rôle de chef car ils avaient du sang blanc et n'étaient donc pas totalement noirs. C'est la colonisation française qui pour ses besoins regroupe les hommes pour créer les premières villes comme Brazzaville. Ces hommes ne sont pas là au départ de leur propre gré, ils y sont pour le travail forcé colonial, ils sont forcés de se parler, de se connaître par solidarité mais qui sont-ils dans leur esprit ? Des Vilis, des Lumbus, des Saras venus construire le chemin de fer, etc. Ce ne sont pas encore des Congolais puisque l'entité Congo comme telle n'existe pas. Ces hommes sont encore attachés à leur identité clanique, tribale, à leur terroir, à leur tsi. Quand on interroge quelqu'un qui vit à Brazzaville, il répond qu'il est de Mouyondzi, de Boko, alors même qu'il est né à Brazzaville ! La colonisation n'a pas fait de ces colonisés pendant cette période des Français à part entière ; on le proclame mais dans la réalité, seuls quelques individus ont ce privilège comme Eboué, Houphouët, Senghor, etc. Il y a donc une déstructuration de la personnalité identitaire du colonisé. Il n'est pas un esclave sinon, on lui aurait enlevé toute identité ; sur ses papiers officiels, il est nzabi, kongo, lari, vili, yaka kamba. On lui laisse cette identité car seul compte qu'il se soumette au travail forcé, qu'il soit au service du colon pour l'exclusif intérêt de celui-ci. L'entité géographique qu'on nomme Congo, tu le sais, résulte du découpage de l'Afrique par les grandes puissances. Il n'a pas été tenu compte du découpage ethnique ; ce qui fait qu'il y ait par exemple plus de Punus (Eschiras) au Gabon qu'au Congo. On n'a pas tenu compte si le plus gros de la famille ou clan tel était plus ici ou là, on a taillé dans le vif, on a créé des entités abstraites qui deviendront plus tard des nations, le Congo, le Gabon, l'Angola. Tu dois te demander comment le Cabinda qui fait partie du Congo est une enclave angolaise, alors même que l’Angola est à des kilomètres. Il faut remonter au partage de l'Afrique et des accords en Y aurait-il eu un facteur qui nous aurait permis de nous rassembler, de nous sentir plus proches les uns que les autres ? Oui ! Un facteur religieux. Hélas, nous sommes tombés sur le christianisme, une religion sans ambition politique, une religion qui sépare les choses terrestres aux choses célestes, une religion de soumission qui ne développe pas l'instinct de rébellion, contrairement à l'islam qui a une portée politique plus grande, plus combattive, qui a exercé par ailleurs une prédication armée, violente. Pour preuve, il n'y a pas de nation chrétienne, alors qu'il y a au moins un état islamique avec l'Iran, l'Arabie saoudite, etc. La religion chrétienne a autorisé l'esclavage ; l'église apostolique elle-même a eu ses esclaves. De toute façon, c'est à cause d'un prêtre, Bartholomé De Las Casas qui voulait éviter la disparition des Indiens que nous avons eu droit à l'esclavage ! Je t'expliquerai plus tard si ça t'intéresse. Enfin, le dernier aspect des contextes démographiques spécifiques comme celle de la pluralité ethnique, de toutes ces peuplades peu enclines à la guerre, à la résistance, à ces populations qui se satisfont de peu, qui ne comprennent pas que cette nouvelle entité créée de façon abstraite pour des intérêts particuliers, pour les intérêts français, deviennent une vraie nation, un vrai ensemble solidaire. Pour que cela arrive, il faut un vrai chef d'Etat qui prenne conscience de cette réalité et qui instaure une justice sociale pour que chacun, chaque Congolais se sente membre à part entière du tout, de ce Congo. Or, à quoi assiste-t-on ? A une distribution ethnique de privilèges socio-économiques ; ce qui renforce que le "Congo", le pays n'est qu'un être virtuel qui fonctionne toujours comme avant : avant, elle discriminait des indigènes pour des Français, aujourd'hui, elle discrimine des ethnies pour une autre ethnie. On ne construit pas un peuple homogène, une nation sur des bases discriminatoires. La conscience d'être un peuple, de quoi dépend-elle ? De la "justice sociale", de la solidarité, d'une vraie éthique politique qui prélude à la démocratie, d'un partage, d'une volonté politique qui doit travailler à inscrire les "tables de la loi" nationale dans le cœur de tous les citoyens. Comment peut-on être un peuple quand le souverain vous divise, exactement comme le colon qui vous assimilait à des "Mbochis", des "Bembés", des "Tékés" pour que vous ne fassiez jamais un tout ? Dans les nations sous influence islamique, l'islam, a apporté un ciment religieux qui pouvait jouer dans le sens d'un dépassement des différences d'appartenance. Nous, avec le christianisme, ça été une expérience totalement différente : voilà une religion qui a une idéologie forte mais qui n'a pas réussi à la transformer en comportements sociaux définitifs qui passe dans la culture ambiante et s'enracine à jamais dans l'histoire d'une nation. En Europe, les valeurs chrétiennes se sont immiscées dans les valeurs culturelles de l'Occident. C'est la chrétienté qui a assoupli la dureté, l'inhumanité des valeurs du libéralisme. Cependant, c'est le fond historique de guerriers, de combattants pour la liberté face aux innombrables invasions barbares qui a renforcé ces peuples, qui leur a donné le goût de la liberté, l'idée qu'il est bon de combattre, de défendre la liberté, de mourir pour elle s'il le fallait, là où le christianisme leur demandait de tendre la joue droite ! Cela vient du moyen-âge où il fallait défendre la citadelle du seigneur à qui l'on appartenait. Le peuple congolais a l'impression qu'il n'y a rien à défendre en tant que peuple parce que tout est perdu d'avance. Après tout, notre indépendance ne vient pas de notre volonté à nous départir de