Par Diop Mahouckous Pas de lendemains qui chantent pour la démocratie en Afrique aussi longtemps que les mandats politiques ne connaîtront pas une limitation stricte et irrévocable, à deux mandats au plus, comme dans les plus grandes démocraties planétaires : Etats-Unis, Allemagne, France, Grande-Bretagne, etc. Si les dirigeants africains ne s’attèlent pas à la tâche tout de suite, après leur arrivée au pouvoir, en déroulant les projets de société pour lesquels ils auraient été portés au pouvoir ; s’ils ne mettent pas le chrono en marche dès leur prise de fonction, c’est parce qu’ils pensent avoir toute la vie pour le faire, avec des mandats extensibles, après tripatouillage des constitutions. A l’inverse, les premiers dirigeants africains de l’époque post-coloniale, les pères des indépendances, avec des moyens pourtant limités, avec très peu de marge de manœuvre en termes de benchmark, firent nettement mieux, en très peu de temps, que ceux d’aujourd’hui qui s’accrochent au pouvoir, avec des moyens colossaux, pour des réalisations pitoyables. L’idée de rester à tout prix au pouvoir les détourne de la vraie trajectoire qui conduit au salut des populations. Cette idée les pousse à des égocentrismes qui mettent à mal l’idée même de nation. Ils restent obnubilés par la conservation du pouvoir et, donc, par l’omniprésence, à tous les niveaux, dans tous les secteurs d’activités nationales, des proches parents ou des ressortissants de la même région ou du même groupe linguistique ou ethnique, gage, pour eux, d’un meilleur contrôle et d’une meilleure veille contre d’éventuels prédateurs de «leur pouvoir». Quand on voit avec quel allant, sous d’autres cieux, les détenteurs du pouvoir déroulent les projets ou se mettent à réaliser les promesses de campagne, on est à l’inverse ahuri de constater, en Afrique, qu’il faut des décennies au pouvoir pour des résultats très souvent compromettants pour le pays: mauvaise gouvernance, corruption accrue et généralisée, montée forte de l’incivisme et des antivaleurs, fonction publique pléthorique avec un personnel insuffisamment formé, des armées pléthoriques et inadaptées qui resteront, pendant longtemps, un épineux problème pour les futurs dirigeants, parce que, mises en place non pas pour la sûreté républicaine, mais pour répondre aux besoins de conquête et de sécurisation du pouvoir. L’alternance démocratique, une forme d’émulation aux bienfaits insoupçonnés Lorsque les dirigeants s’alternent au pouvoir après l’accomplissement d’un mandat ou des deux mandats requis, comme nous le voyons dans certains pays africains sub-sahariens tels que le Ghana ou le Bénin, ou le Sénégal tout récemment avec l’élection de Macky Sall (ayant même milité pour le retour du quinquennat plutôt qu’au maintien du septennat), il y a un renouvellement de la classe politique qui s’opère dans le pays, engendrant des bienfaits insoupçonnés pour l’ancrage de la démocratie. Lorsque, pour la durée impartie de la mandature, les résultats ne sont pas à la hauteur des attentes, la sanction doit s’ensuivre dans les urnes, par le peuple souverain, détenteur du pouvoir en démocratie, qui le donnera, par le biais du suffrage universel, à un autre fils ou une autre fille du pays, pour présider aux destinés de la République. Voilà ce qui peut élever une classe politique, et qui peut consolider une démocratie, et la nation ne peut que s’en trouver renforcée. Avec une vraie limitation de la durée d’exercice du pouvoir, point de temps aux calculs politiciens, aux manigances, aux projets qui ne tirent le pays que vers le bas, etc. Place sera alors donnée au travail, aux réformes et aux grandes avancées, par ce que l’on est attendu pour rendre sa «copie» au peuple souverain. Or, l’état actuel des choses n’est que source d’exaspération du peuple, de la montée lente mais sûre des intégrismes en Afrique, par ce qu’une frange de la classe politique ou de la société civile pense être exclue dans l’exercice du pouvoir, par ceux qui le gardent sans partage, et de mains de fer, aussi longtemps que possible. Ce sont, là, les vraies causes du recul de l’Afrique, les raisons du mépris du monde occidental pour l’Afrique, du décalage entre le monde émergent et l’Afrique sub-saharienne. Tous les abus dans l’exercice du pouvoir que l’on peut constater en Afrique sub-saharienne, trouvent leur justification dans l’absence d’une réelle alternance démocratique au pouvoir : l’épineux problème de la séparation des pouvoirs; la mauvaise gouvernance; la corruption; la gabegie financière; l’impunité; les atteintes à la liberté d’expression; le favoritisme; l’enrichissement illicite; le népotisme, etc. Les conférences nationales souveraines organisées dans certains pays d’Afrique sub-saharienne ont suscité beaucoup d’espoir, espoir du reste justifié, tant elles ont dépeint la situation générale des gouvernances, des dérives autocratiques et de l’intolérance politique, et ont essayé de baliser le chemin pour des meilleurs lendemains, donné des orientations pour un vrai engagement démocratique, afin de ne plus retomber dans les travers longtemps fustigés. Aujourd’hui, deux décennies après ces grands forums nationaux, où en sommes-nous ? L’absence d’alternance, cause majeure de la fragilité des Etats africains Tout semble à l’évidence fragile, bâti sur le sable : les économies sont gérées dans une certaine forme d’opacité ; certaines opérations, même de très grande envergure, manquent de traçabilité, tout étant concentré entre les mains d’un seul individu. Cela fait que d’un régime à l’autre, l’on assiste à un éternel recommencement. Les mouvements de revendication populaire tout autour de nous dans la sous-région ne trouvent-ils pas leur justification dans l’absence d’une réelle alternance démocratique dans ces pays ? Le mouvement «Y-en-a-marre» au Sénégal, le collectif «Sauvons le Togo», celui du Gabon avec l’opposant Mba-Obame, celui de la RDC conduit par Etienne Tshisekedi, etc, sont révélateurs du malaise qui gangrène les jeunes démocraties africaines. Voilà quelques preuves suffisantes que l’alternance démocratique est non seulement la clé du succès pour un vrai ancrage démocratique, mais en plus, un levier fort pour asseoir une vraie dynamique républicaine. Diop MAHOUCKOUS |