Charlie Hebdo – 12 octobre 2011 – Laurent Léger
En dépit des plaintes contre le pillage organisé de leurs pays, les dictateurs africains continuent de dépenser sans compter en France : immobilier, fringues de luxe, bijoux… Et pendant ce temps, le parquet de Paris veille à ce qu’ils ne soient pas trop embêtés par de méchants juges indépendants…
Il en a fallu, de l’énergie et de la bagarre, pour que l’enquête sur les « biens mal acquis » des dictateurs et autres potentats démarre en France et prenne sa vitesse de croisière. Et, une fois n’est pas coutume, les juges d’instructions saisis par les plaintes des ONG anti-corruption Transparency international et Sherpa ont déniché une trace de l’interventionnisme forcené du parquet de Paris. Une trace écrite, s’il vous plaît. Agacé par le peu d’infos remontant jusqu’à lui des services chargés de traquer le blanchiment d’argent, le juge Le Loire a fini par prendre sa plume le 2 février et « requérir », puisqu’il faut bien finir par taper du poing sur la table, que lui soient transmis tous les dossiers sur ceux qui pillent l’Afrique, les Bongo (Gabon), Sassou Nguesso (Congo-Brazza) et autres Obiang (Guinée équatoriale).
Et là, quelle ne fut pas sa surprise, en recevant, le 20 juin, la réponse de Tracfin, le service spécialisé de Bercy : dans une longue lettre, son directeur listait 11 notes déjà transmises par son service au parquet, datées de mars 2000 à décembre 2010, et concernant les turpitudes de ces potentats en France. Le hic, c’est qu’aucun de ces documents n’avait été remis au juge. Comme c’est bête : le procureur, l’habile Jean-Claude Marin, avait dû les oublier dans un tiroir. Charlie ne l’a pas surnommé Bob l’éponge par hasard, du fait de sa propension à effacer les affaires sensibles. En réalité, il s’était gentiment assis dessus. Il ne faut pas déplaire aux amis du pouvoir.
Costards en cash
Le juge d’instruction a désormais la preuve que l’argent du peuple gabonais, congolais et guinéen continue aujourd’hui à gonfler les poches des dictateurs. En voici quelques exemples croustillants et ultra-récents. Bon, il faut bien reconnaître que les intéressés hésitent à sortir les grosses valises de cash, contrairement à papa Omar Bongo, qui règle, en octobre 2007, une facture de 344 000 euros chez Smalto, le couturier ringard, en billets tout neufs.
Le vieux n’est plus là. Ali Bongo est désormais le chef de l’Etat. Ce dernier se fait verser, sur ses comptes personnels à la banque Martin Maurel, à Paris, des centaines de milliers d’euros, a relevé Tracfin. Sa femme Sylvia tire allègrement dessus avec ses cartes American express : entre avril 2010 et avril 2011, 926 000 euros se sont envolés, dont 132 000 chez Van Cleef et 144 000 chez Hermès. D’où vient l’argent ? Mystère. Mais il est dépensé sans scrupules alors que des enquêtes judiciaires prospèrent. Comme quoi les juges d’instruction, quand le parquet veille, ne font pas bien peur aux délinquants potentiels… C’est sûrement pour ça que Sarkozy tenait tant à les supprimer…
Si le tailleur de ces messieurs Bongo et Sassou, Pape Hackett, a reçu 50 000 euros en liquide en règlement de 20 costumes destinés au potentat congolais en novembre 2009, on paie désormais par virement. L’argent arrive de Brazzaville, de Libreville ou même … de San-Marin. Cet état microscopique au cœur de l’Italie bénéficiait jusqu’à peu du secret bancaire absolu…
Tout récemment encore, le neveu du potentat congolais, Wilfrid Nguesso, patron d’une société publique dans son pays, s’est fait verser par sa boîte nombre de virements, jusqu’à plusieurs fois par mois, sur son compte perso à la Société générale à Paris. Plus de 600 000 euros sont repartis fin 2010 au Luxembourg pour des produits d’assurance-vie. Quant à Flore Baloche, demi-sœur du président gabonais, elle ne s’est pas gênée pour dépenser entre avril 2010 et avril 2011 plus de 1 million d’euros en haute couture, bijoux et billets d’avion. Christian Claude Bongo, un banquier membre de la famille au pouvoir, a acheté fin 2010, via une SCI, un appartement dans le triangle d’or de Paris, rue de Ponthieu, pour près de 2 millions. Sur ses comptes arrivent des fonds en provenance de sociétés publiques gabonaises, voire d’ambassades du Gabon à l’étranger.
Il ne faut pas oublier les innombrables bagnoles de luxe (Seize berlines de luxe du fils du président de la Guinée-Equatoriale ont été saisies le 1er octobre à Paris : Bugatti Veyron, Porsche Carrera, Mercedes Maybach, Aston Martin, Maserati, Ferrari…) et les objets d’art – le fils du président guinéen en a raflé pour 18 millions d’euros à la vente Bergé-Saint Laurent -, également très prisés des satrapes.
Mais rien à faire des ONG, rien à faire des juges : ils continuent à se goberger jusqu’à plus soif. Avec l’appui du pouvoir français.