Il nous revient du pays où il est installé depuis quelques années en qualité de Français expatrié. J'ai l'habitude d'interroger les voyageurs pour avoir un point de vue de l'intérieur et à chaque fois, on en apprend toujours un peu plus.
"Le pays va bien bien mais ce sont les hommes qui vont mal, commença-t-il.
- Comment le pays peut-il bien aller si les hommes vont mal ? Demandai-je à notre banquier autour d'un verre de vin et d'un bouillon de poisson. Cela peut-il se faire de séparer le pays de ceux qui l'habitent ? Je penche pour une métonymie dans laquelle je vois le "pays" incarner les hommes qui l'habitent comme lorsque l'on désigne une partie par son tout. Alors, j'ai du mal à comprendre ta pensée...
- Le pays a des ressources et l'argent coule à flot - du point de vue structurel, le Congo en lui-même va bien puisqu'il possède les moyens de sa propre croissance. Les caisses des banques sont pleines mais le crédit ne fonctionne pas : il faudrait quelques garanties pour en bénéficier mais nous constatons que ceux qui sont riches en jouissant de l'argent du pétrole, soit dix pour cent de la population, n'ont pas besoin de crédit. Même l'hypothèque est difficile à envisager du point de vue bancaire. Ils vont jusqu'à se permettre d'acheter des villas à 200 millions de francs cfa (350.000 francs cfa) à Pointe-Noire ou de louer des pavillons à 2 millions de francs cfa par mois. Comme les 90% restants sont la majorité, je dis que les hommes vont mal parce qu'ils souffrent et ont du mal à tenir les deux bouts.
-Y a-t-il au moins des progrès patents au niveau des infrastructures ? Ajoutai-je pour essayer de voir si les questions relatives à l'électricité et à l'eau évoluaient dans le bon sens.
-Franchement, à Pointe-Noire, rien ne fonctionne : quand ils ont voulu brancher le courant sur l'ancienne logistique, il y a eu des incendies et ils sont obligés de tout arrêter. Par conséquent, l'électricité qu'on nous promet depuis 2004 ne fonctionne pas.
- Et le nord du pays ? As-tu pu y aller ?
-Oui, nous avons une agence à Pokola. Franchement, ne vous fiez pas trop à la propagande du pouvoir qui vous montre des routes bitumées. Il y a des endroits où la pirogue est de rigueur et cela fait que le bois, la deuxième ressource du pays, passe par le Cameroun. Djombo se frotte les mains...
-Pourtant Sassou fait tout pour que le courant arrive à Oyo et à lire ce qu'on nous envoie, il veut créer un bassin industriel autour d'Ollombo. C'est vrai que le ministre indécrottable Djombo doit être très spécial pour survoler tous les gouvernements.
-C'est à mon avis l'un des hommes les plus riches du pays. Peut-être est-il même plus riche que Sassou lui-même...
-Plus riche que Sassou ?
-Oui, pendant que les Congolais ont les yeux braqués sur le pétrole, Henri Djombo gère le bois, une énorme ressource, comme il veut. Il a entre les mains la deuxième ressource du pays et des comptes à rendre juste à Sassou. Comme le bois transite par le Cameroun, personne ne se soucie d'en faire une comptabilité rigoureuse. Et l'on dit que Djombo serait actionnaire dans plusieurs sociétés qui exploitent le bois.
-Au fait, que boutique le ministre Mabiala - alors qu'il n'a pas résolu le problème des propriétaires fonciers ? Vu qu'il leur reconnaît des droits issus de la conférence nationale, comment peut-il leur empêcher de vendre des terrains ?
-Mabiala a créé une structure pour gérer le foncier public mais je pense qu'il faut créer une officine unique qui délivre les documents valables pour entériner une vente de terrain. Les propriétaires fonciers l'achèteraient à 100.000 francs cfa et pour revendre ce terrain, il faudrait qu'il revienne vers celle-ci mais comme on ne peut vendre une parcelle deux fois, il serait coincé. Le problème, à mon avis, est la vente des terrains à plusieurs personnes. Il faut faire comme pour la vente des voitures : tu retires un papier et une fois que tu as vendu le terrain, tu ne peux plus le revendre.
-Il me semble que c'était un peu le rôle du cadastre. Cependant, rien n'empêche la falsification des documents, les complicités, la corruption, etc. De mon point de vue, il faut clarifier le rôle des "propriétaires fonciers" qui s'accaparent une terre mise en commun au profit de la république. Les passerelles entre l'Etat et cette catégorie de la population ne sont pas bien fixées.
-Oui, mais il faut trouver la bonne réponse ! Dans le Kouilou, là où l'on a trouvé du pétrole au niveau du sol, les propriétaires fonciers sont entrés en guerre avec l'Etat et les compagnies pétrolières. Ils savent se faire entendre ! Nous verrons si les solutions envisagées par le ministre Mabiala tiennent la route.
En tout cas, en ce qui me concerne, je suis devenu une sorte de "sécurité sociale" humaine car au Congo tous ceux qui ont la chance d'avoir un emploi stable si difficile à avoir ressentent un peu plus le poids de la misère sociale qu'on leur fait porter car ils ne peuvent ne pas aider leurs semblables. Il faut une politique un peu plus volontariste dans le sens de l'emploi. Le chômage est une plaie que le gouvernement ne veut pas soigner. Même au nord, les gens souffrent. Il faut laisser Sassou ouvrir le nord au reste du pays car en matière de territoire, le nord reste encore peu peuplé..."