Au quotidien, se joue en Lybie une tragédie qui commence par un rêve de vie meilleure, rêve venu du Soudan, de l'Erythrée, de Somalie, d'Ethiopie, du Sénégal, du Mali, du Congo (les deux en fait), du Tchad, de la Centrafrique, un rêve d'Europe, de bonheur, d'abondance, de travail, un rêve payé en milliers de dollars qui se termine parfois au fond de l'océan en nourriture pour requins. Des centaines de rêves morts sous l'eau parce que des embarcations de fortune ont chaviré.
Kadhafi avait averti que sa mort pourrait signifier une immigration sauvage, de masse en direction de l'Occident car il n'y aurait plus personne pour arrêter les tentatives des plus hardis. L'Europe est riche de notre misère africaine, elle qui soutient toutes ces dictatures pour pouvoir venir piller nos ressources, privant l'Afrique de toute possibilité d'avenir. Et, quand comme Kadhafi, on veut suivre une voie libre qui aurait permis à l'Afrique de s'en sortir, on est liquidé. Comme Sankara, comme Marien Ngouabi. Les Européens sont libres de venir prendre les richesses de l'Afrique mais les Africains ne le sont pas pas pour venir en Europe qui par ailleurs souffre économiquement parce qu'elle a eu le tort de permettre le développement économique de l'Asie. Nous savons que l'Allemagne a juré que jamais l'Afrique ne sera développée ; on ne peut pas faire deux fois la même erreur.
Il y a ceux qui ont rendu la Lybie ingouvernable et ceux-là sont bien connus, il y a ceux qui veulent fuir la misère établie en Afrique et ailleurs, il y a ceux qui savent que la Lybie est le point le plus proche de l'Europe et qui exploitent son positionnement géographique pour se faire de l'argent facile. Trois regards différents comme trois opportunités qui ne veulent pas se croiser. Comme quoi, à chacun pour sa peau et à chaque peau, ses propres intérêts. L'Europe ne s'intéresse pas à rétablir un équilibre étatique en Lybie, se contentant de siphonner son pétrole ; ceux qui vivent du trafic des rêves des misérables d'Afrique et d'ailleurs exploitent la situation et sont peu scrupuleux. Quant à ceux qui fuient la misère, tous les risques sont bons à prendre pour s'en éloigner. Cependant, ils ne sont pas les bienvenus en Europe ! L'Europe veut bien faire toutes les misères du monde en pillant leurs ressources mais pas accueillir tous les misérables du monde.
Chaque jour, des rêves tentent l'aventure - quitte à mourir noyés parce que l'Afrique n'offre aucune perspective de développement, d'épanouissement. L'Afrique est un continent de rêve mais pas pour les Africains.
Lorsque Denis Sassou Nguesso dit qu'il n'est plus possible de se taire face à la tragédie qui voit mourir des centaines de coureurs de bonheur à l'occidental, il a raison mais lorsqu'il parle des perspectives de développement absentes en Afrique au micro d'Elkabach, de qui se moque-t-il ? Il est de ceux qui devraient bâtir le développement de l'Afrique mais le pays sur lequel il règne depuis plus de trente, le Congo, n'a même pas d'eau potable, la jeunesse est désoeuvrée et tous les horizons sont bouchés pour la majorité de la population. Si cela était possible, tous les quatre millions de Congolais quitteraient leur pays pour aller tenter leur chance ailleurs...
Comment empêcher que des pauvres gens viennent fracasser leurs rêves contre des écueils pour se retrouver au fond de la Méditerranée ? Comment arrêter ce trafic qui exploite la souffrance qui rêve à un monde meilleur ? L'Europe devrait mieux s'impliquer à faire en sorte que l'Afrique se démocratise au lieu de soutenir des vieux dictateurs comme Denis Sassou Nguesso. Oui, la misère des uns est établie par la richesse des autres. Quand 20% de la population mondiale consomment 80% des ressources de la planète, ou ces riches revoient leur politique de consommation ou ils tolèrent l'immigration. Cependant, l'immigration est devenue un enjeu politique en Europe. Recevoir les souffreteux enverrait un message encourageant et pour les vendeurs d'espoir et pour les coureurs de bonheur à l'européenne. Non, il faut en faire le moins.
On laisse l'Italie se débrouiller toute seule face à un flot de candidats au bonheur qui viennent frapper à sa porte. Ce jeudi, l'Europe va essayer de rechercher des solutions et nous savons qu'il ne s'agira pas de se partager la misère du monde mais de trouver le moyen de l'empêcher de traverser la Méditerranée. En effet, tant que la misère est contenue en Afrique, on ne la voit pas ; du moins, on fait semblant de ne pas la voir. Quand elle s'expose à la vue de ceux qui jettent des tonnes de nourriture par jour, ces riches font semblant de s'offusquer ou de s'apitoyer.
Il est temps d'arrêter l'hyopocrisie qui ne sert que les grands groupes industriels pour enfin inventer une sorte d'écologie politique en soutenant l'idée que l'Afrique doit être pour les Africains le meilleur lieu pour réaliser leurs rêves - au lieu de se contenter de réaliser ceux de l'Occident et du monde dit civilisé. Un plan Marshall énergétique pour l'Afrique, pourquoi pas ? Aidez-la à se démocratiser et à exploiter ses propres ressources car si vous la pillez pour la laisser dans la misère, vous ne pourrez pas arrêter l'immigration. Tous les jours, les Africains s'ingénuent pour entrer en Europe et certains y parviennent. En Afrique, tout s'achète, de la fausse identité au faux passeport de service.
Certains pensent qu'il faut légaliser l'immigration. Laquelle ? L'immigration choisie pour piquer à l'Afrique ses cerveaux et l'appauvrir de plus bel ? Non, il faut démocratiser l'Afrique, lui permettre de mieux jouir de ses ressources et faire enfin de l'Afrique une terre d'opportunités pour les Africains et non seulement pour les multinationales occidentales et asiatiques.
Ceux que l'Afrique perd chaque jour dans la Méditerranée sont peut-être les plus énergiques, les plus déterminés de ses fils, ceux qui ont le goût du risque à qui on aurait pu donner la chance dans leur pays de mieux investir 6000 euros au lieu de se retrouver au fond de la mer. Ce monde est injuste. Et ce sont ceux qui font l'injustice qui dirigent le monde. Nous ne sommes pas sortis de sitôt de cette contradiction. Liberté pour le capital, liberté pour l'entrepreneur qui fournit à l'Occident ses matières premières ironiquement entreposées en Afrique par la nature mais point de liberté aux Africains de venir comme ils veulent en Europe. Le pétrole, le coltan, l'or, le diamant ou l'uranium d'Afrique n'ont aucun mal pour venir en Europe car personne ne leur exige un visa mais le Congolais, si !