Nous aimons notre pays. C'est quelque chose de viscéral, de charnel. Comme un amour filial. Le Congo vit en moi, comme s'il me possédait. Partout, ma carcasse trimbale une portion de ce pays, de cette terre que j'ai bue dans le lait de ma mère. Je me définis comme la terre du Congo devenue vie, une terre debout qui parle. Mon souhait ? Voir et savoir mon peuple heureux. Digne. Hélas, la réalité actuelle de mon pays m'écoeure, m'afflige car je sais que son malheur vient des propres fils du Congo. Ceux qui ont prêté serment de le servir se servent plus de lui et laissent crever le peuple.
Je n'éprouve pas de haine envers ceux qui torturent notre pays, me disant que le pouvoir certainement corrompt ou quelqu'un, quelque chose corrompt le pouvoir mais vu que c'est une chose, c'est plutôt le pouvoir qui est corrompu par l'élite. L'ambition peut expliquer qu'on prenne le pouvoir par la force mais pas le reste. Après tout, même en cas de démocratie, il y a un risque à déléguer le pouvoir collectif à un individu dont le cerveau ne deviendra jamais un cerveau collectif. Les intérêts d'un monarque ne sont pas forcément ceux du peuple. Le phénomène de la délégation de pouvoir qui ne saurait s'animer collectivement est nécessaire mais risqué. Le souverain est humain et y colporte nos vertus et nos faiblesses. Nous ne sommes plus hélas au temps de la maat triomphante où pharaon visait la perfection car il lui fallait maintenir l'ordre cosmique. Certes, le kimuntu n'a pas disparu mais confronté aux intérêts matériels, il a perdu de sa hauteur et de son épaisseur. Voici comment se résume ce monde : après un billet de banque, plus rien. Le quantitatif a pris le pas sur le qualitatif. Même la vie humaine, le précieux des précieux, est quantifiée. L'argent chosifie même la vie. L'idéal humain s'est arrêté devant une sorte de tangente matérielle. On veut toujours plus de zéros après un chiffre et, à ce jeu de la cupidité, il n'y a pas limites. La fortune disent les maîtres du monde est la seule chose qui peut s'accroître indéfiniment. Même la mort ne l'arrête plus puisque les enfants poursuivent la quête sur le chemin de la cupidité. Ainsi va ce monde.
L'Afrique a eu ses heures de gloire quand elle se construisait sans l'aide de personne et à l'abri des appétits du monde. En courant après la domination planétaire, l'Occident a eu ses heures sombres car il s'est construit par le glaive et le sang. Les choses ont bien tourné pour eux, les Occidentaux, qui ont reçu de nous, par KMT, le don de la civilisation. Nous, Africains, n'avons plus que des souvenirs de splendeur humaine, eux la vivent au présent et pas besoin de souvenirs qui ne nourrissent personne pour cela. L'Afrique sombre, coule, entraînée vers les abysses par les fils d'Europe servis par des gouverneurs noirs traîtres à leurs propres causes nationales. Ils ont construit et construisent encore leur grandeur en nous abaissant, en nous écrasant. Il n'y a pour eux de grandeur que dans l'abaissement des autres. Est-ce le prix de la grandeur ? Faille-t-il toujours un sacrifice pour édifier quelque chose de grand ? Que doit-on alors sacrifier pour honorer la dignité ? Notre dignité d'homme que nous bafouons à la face du monde ? On nous mortifie et pendant ce temps, nous nous suicidons. On nous aide même à nous déchirer. Avec le peu d'argent que nous laissent les puissances du monde, nous achetons des armes pour nous entre-canarder. Bref, passons.
Ce monde n'est pas pour moi. J'appartiens à une espèce en voie de disparition. A présent, que les jeunes frères ont entendu le cri que j'ai lancé dans le désert, je n'écris plus beaucoup. Je lis plus. De temps en temps, il faut bien donner un peu d'éclairage car le réveil sera long après sept siècles d'un coma culturel. Elle se dégivre doucement, notre Afrique. Partout, les jeunes se réapproprient leur patrimoine volé. We want back our stolen legacy. Comme une termitière, un jour nous verrons le fruit de ce travail de réveil surgir de dessous terre. Les bourgeons se voient déjà.
Ayant appris que le pays avait du mal à payer les salaires, - ce qui vient encore de m'être confirmé, je n'ai pas eu la force de souhaiter un joyeux noël à notre peuple - déjà que dans le Pool le génocide contre les Bakongo se poursuit et que certains vivent dans les forêts - alors que la pluie bat son plein.
Nous avons des racines chrétiennes qui remontent à 1483. On peut même dire que le christianisme a mieux réussi en Afrique qu'en Occident avec la prolifération des sectes et des églises chrétiennes. Ce n'est pas négligeable. Qu'importe qu'on dise "joyeux noël" au lieu de "joyeux Jésus" ? Jésus naît, on souhaite la joie à Noël car Noël a bien existé. On aurait pu dire : joyeux Jésus ! Bref, cette fête païenne récupérée est entrée dans les moeurs ; on fait avec. Le Jésus historique selon un auteur juif est né au mois de nissan (avril). C'est le symbole qui compte, dira-t-on. Cependant, il faut de l'argent pour célébrer la naissance du Christ le même jour que la naissance de Mithra et du dieu romain Sol Invictus. Même le peuple le plus meurtri mérite ses heures de réjouissance. Il faut sauver les apparences en y mettant les formes comme dit un ami.
L'impact d'un arrêt de paiement des salaires des fonctionnaires sur le pays serait catastrophique ; aussi, nous ne le souhaitons pas - en dépit du fait que ce régime nous déçoive - déjà que les retraites ont du mal à être payées. Dans un pays où la famille est la plus grande forme d'assistance sociale, chaque fonctionnaire pourvoit au moins à la survie de cinq personnes. Au moins.
Depuis son coup d'Etat en 1997, le grand ndzokou a toujours mis un point d'honneur à payer les salaires. Du moins, jusqu'à présent. Nous souhaitons qu'il s'en tienne à ça. C'est le moins qu'on attende d'une dictature - même la plus impitoyable. Il ne peut pas nous confisquer le pouvoir et nous priver du peu que le peuple gagne en le servant. Le salaire est dû, pas une aumône. Seuls les esclaves travaillent sans attendre de salaire. Cependant, même l'esclave doit manger. Sur plus de 4000 milliards de francs cfa de budget quand tout va bien, on peut bien trouver 400 milliards pour faire fonctionner l'Etat ! Même avec moins de 3000 milliards de francs cfa, il y a encore de la marge. Aussi, quand on apprend que le Congo a lancé un emprunt de 150 milliards de francs cfa sur les marchés obligataires de la CEMAC, on se pose des questions.
Nous avons crié depuis un moment à la faillite de notre Etat. Ce que nous ignorions, c'était la gravité de la chose. Trop d'argent publié détourné, gaspillé ! On se permet même une chasse à l'homme qui ne rime à rien pour maquiller un génocide en opération de (in)justice. Que feront nos fonctionnaires s'ils ne sont pas payés ? Continueront-ils travailler - sans recevoir de salaire ? Nous n'en sommes pas encore là. Cependant, à faire le funambule au bord du précipice, on finit par une catastrophe. Sassou, lui, n'aura aucun scrupule à vendre notre pays au plus offrant. D'ailleurs, c'est déjà fait depuis longtemps. Notre présent ne nous appartient déjà plus. N'hypothéquons pas en plus notre avenir. Si on ferme la porte du futur, que nous restera-t-il ? Peut-on laisser l'esclavage éternel à un peuple quand on est un souverain digne de ce nom ?
Même la puissante Rome est passée. Rien ne demeure éternel. Ndzokou pé a kuéyaka. Le gigantisme ne nous préserve pas des chutes. La question de la fin de ce système machiavélique ne se pose pas : il passera. La question est : dans quel état nous laisseront-ils le pays ? Question ruine financière du pays, Sassou n'est pas seul autour de la dépouille Congo. Il y a auprès de lui plus crapules, plus cupides parce que plus intelligents. Il gère les choses du haut de son éléphantissime trône et ne voit pas toujours ce qui se passe en bas - même si nous savons qu'il peut se donner tout le loisir du contrôle s'il le veut. Il y a le poids de l'âge et l'usure du pouvoir. Ils sont déjà victimes de leurs excès. La chute n'est plus très loin. Nous sommes des termites. Nous rongeons l'édifice de l'intérieur et toute chute politique est d'abord une chute psychologique. La faillite précipitera le plongeon. Mû par le phénomène d'entropie, le temps finit par détruire tout édifice matériel.
LION DE MAKANDA, MWAN' MINDZUMB', MBUTA MUNTU