Cher grand-frère, bonjour. Il est évident qu'un jour se posera avec plus d'acuité la question du vivre ensemble au travers du partage des mêmes valeurs - même si elle se pose déjà à une petite échelle aujourd'hui. On ne bâtit pas une république harmonieuse en excitant les différences mais plutôt en cultivant les ressemblances, les droits et devoirs de tous. Même une grande nation comme la France n'est pas à l'abri d'une telle attitude de régression sociale avec la menace du Front National qui se trouve au pied du pouvoir. Si Marine Le Pen prend le pouvoir en France, il y aura une discrimination au sein même des citoyens français catalogués en Français de souche et autres Français avant même que les immigrés ne subissent la férule de la haine raciale. Au Congo, nous sommes encore loin de ressembler à ce que l'on peut appeler un Etat de droit : pour qu'il y ait un Etat de droit, il faut que le droit libre de toute pression, indépendant, prime sur la force brute. Or, ce n'est pas le cas au Congo. Qu'on fasse taire en les jetant en prison les candidats qui ont devancé Denis Sassou Nguesso à l'élection présidentielle ne me surprend donc pas : la dictature a peur de la vérité ; c'est pour cela qu'elle l'embastille. Elle redoute les revendications populaires ; c'est pour cela qu'elle commet des massacres de masse.
Il y a un travail important à faire avant qu'un conglomérat de peuplades, de tribus ou d'ethnies devienne vraiment un PEUPLE. On peut vivre ensemble sur le même territoire - sans constituer un PEUPLE (les esclaves aux Antilles n'ont pas constitué un peuple à l'époque de l'esclavage) - même avec la prétention d'un Etat républicain ou d'un Etat de droit. Les peuples ont toujours été la construction de grands personnages. Chez nous, au contraire, on excite la différence, le rejet de l'autre en transformant les droits de tous en privilèges ethniques. Dialectiquement parlant, quelque chose n'a pas pris lors de la genèse du Congo en 1960 et nous colportons cette contradiction dialectique jusqu'à aujourd'hui. Aux yeux de l'histoire, Denis Sassou Nguesso est un ANTI-ROI. Il fait exactement le contraire de ce que ferait un grand roi dont la mission est de transformer des différences ethniques en peuple uniforme. Force est de constater que chez nous l'identité ethnique prime sur l'identité nationale ou républicaine et c'est un indicateur qui ne trompe pas. Cela veut dire que le souverain monarque travaille plutôt à défaire la nation, la république, l'Etat de droit qu'à forger un PEUPLE.
Non, toutes ethnies confondues au Congo, nous ne partageons pas les mêmes valeurs mais que faisons-nous pour les harmoniser ? C'est là, le travail de l'Etat et des intellectuels que de les harmoniser, de renforcer le sentiment général d'appartenance nationale, d'identité républicaine par delà l'appartenance ethnique ou tribale. LA FONCTION PREMIERE D'UN VRAI SOUVERAIN EST DE FACONNER UN PEUPLE EN FORGEANT L'UNITE AU SOUFFLE DE LA JUSTICE ET AU FRACAS DE L'ENCLUME DU DROIT. Au contraire, les gouvernements successifs tant du sud que du nord - ont exacerbé les différences - avec un pic sous le régime actuel de Sassou.
Il y aura toujours des ethnies qui se feront défiance y compris dans un Etat confédéral - même si nous reconnaissons qu'au sud, nous avons un plus GRAND respect de la vie humaine, de la propriété privée et une plus grande homogénéité culturelle par delà les proximités identitaires. Nous avons malgré les souffrances conservé notre kimuntu. Jamais un président originaire du sud n'est allé bombarder une région au nord du pays. Nous, descendants de l'empire Kongo, étions déjà civilisés à l'arrivée des Mindélés en 1483. Nous avions des royaumes, des ministres, une justice, un contrôle de la propriété foncière, une gestion des ressources, une pseudo-industrie produisant du velours, de la soie, du verre, du fer, de l'aluminium, du cuivre. Nous avions déjà nos marmites en aluminium quand les Portugais sont arrivés à la fin du XV ième siècle. On ne peut pas en dire autant du nord où les tendances belliqueuses ont empêché toute coalition en royaume. Le royaume téké était un poste avancé de l'empire kongo.
On ne refera pas l'histoire mais il est bon de la rappeler. Hélas, les Occidentaux en 1885 n'ont pas pris en compte les unités ethnologiques homogènes pour créer les nouveaux Etats ; les choses auraient été plus simples - même elles n'auraient en rien garanti l'absence de conflits, de guerres de conquête du pouvoir entre sous-ethnies d'une même grosse ethnie. L'Europe quant à elle est bâtie sur des soubassements culturels homogènes et, la culture européenne a épousé le même socle démocratique et républicain. En Afrique, en dépit du travail important d'ethnologues et d'explorateurs, le découpage des Etats a été sauvage. Nous n'avons même pas eu véritablement l'occasion de fondre nos différences en une identité unique faites de nos ressemblances quand les indépendances ont été accordées - encore que si toutes les ethnies s'étaient rassemblées dans des guerres de libération pour chasser le colon, il en aurait résulté des Etats plus solides, plus ethno-solidaires et l'émergence d'un PEUPLE eût été plus aisée.
Un Etat confédéral atténuera à coup sûr les problèmes d'antagonismes ethniques, de rivalités instrumentalisées sur fond identitaire. Mais comment l'instaurer quand le monde est sourd et aveugle au drame qui frappe le Pool et le Congo ? Qui en prendra l'initiative ? Qui aura le scalpel du confédéralisme pour transformer le Congo en Confédération ? Faudra-t-il une autre conférence de Berlin ? Modeste Boukadia qui portait cette revendication se meurt en prison - sans que les nations civilisées ne s'en émeuvent. L'Occident est adepte de l'intangibilité des frontières - surtout quand il s'agit de pays serfs (la France opposera son veto à toute tentative de diviser le Congo - sans sa permission car le Congo est SA chose, SA créature). Aussi, en Afrique, on peut compter sur le bout des doigts l'apparition de jeunes Etats. Et la division n'arrête pas toujours les tensions ethniques. On a tous en tête l'exemple du Soudan divisé en deux Etats nord et sud-Soudan. Cependant, le sud-Soudan est encore en guerre contre le ... sud-Soudan ! Tant qu'il y aura deux ethnies différentes, nous pouvons nous attendre à de l'ethnodiscrimination.
Il est navrant et désolant qu'on s'en prenne au peuple lari comme vous le dites mais il faut qu'on se dise qu'on attaque toujours les symboles, les porte-drapeaux de la résistance, les combattants de la liberté, les groupes leaders dans le combat pour la liberté. Or, le Pool est la région-mère de la résistance politique depuis des siècles, avec une illustration marquée et distinguée pendant la lutte pour l'indépendance de notre pays.
Nous avons bien applaudi à l'indépendance. Hélas, l'ennemi colonial, en intronisant l'amalgame du différentiel kimuntien, nous a tendu un piège. La leçon que nous devons retenir aujourd'hui est la suivante : quand la violence rencontre la civilisation, c'est le plus violent qui l'emporte, qui gagne en soumettant l'autre (aussi, il faut parfois, qu'en face de la violence barbare, que la civilisation se fasse violence civilisée). Notre kimuntu a joué contre nous. Les violents saccagent désormais notre pays. Nous sommes victimes de notre kimuntu face à la sauvagerie et de la barbarie de l'ethnie-Etat.
Oui, le Pool et les Laris souffrent mais dans le Pool m'a-t-on dit, il n'y a pas que les Laris - même s'ils majoritaires. Et il faut savoir que dans l'esprit de Denis Sassou Nguesso et de celui de tous les membres de l'ethnie-Etat, le Mukongo est assimilé sudiste et non juste lari. La conspiration pour conserver le pouvoir au sein de l'ethnie-Etat a pour ciment une instrumentalisation de la haine du Mukongo qui dépasse largement le spectre des Laris car le Mukongo renvoie à tout originaire du sud.
Nous avons un problème de mixité spatio-ethnique : si des Mbochis vivaient dans le Pool, on n'assisterait pas à de tels pilonnages aériens et terrestres car Sassou n'aurait pas pris le risque de casser la coalition mbochie ; il sait que rompre la cohésion identitaire qui se fait toujours au détriment de l'autre, de celui qui est différent, et attaquer les siens, c'est commettre un suicide politique. Certes, il y a une plus grande mixité ethnique au sud où toutes les ethnies vivent en harmonie sous le moule du kimuntu mais je défie quiconque de dire qu'il en est la même chose au nord. Il s'agira un jour de rendre chaque mètre carré de notre pays attractif pour toutes les ethnies. Facile à dire qu'à faire quand on constate que déjà la capitale Brazzaville est ethno-occupée spatialement, les nordistes au nord de la capitale et les sudistes au sud de celle-ci. Cette occupation spatiale permet tout de même une mixité matrimoniale mais l'adhésion clanique ne simplifie pas les choses.
Il y a eu de graves erreurs historiques qui entravent encore aujourd'hui le progrès, l'harmonie de notre jeune république. Il est vrai qu'on peut céder à la facilité, au confédéralisme, à la division du pays en deux ou plusieurs Etats mais on oublie bien vite que la plus grande portion démographique du pays se trouve au sud dans les grandes villes. Si l'hypothèse divisionniste l'emporte, je crains qu'on ne verse dans la guerre civile car il faudra bien obliger certains à remonter vers le septentrion. Et cette barbarie de plus sera la plus sanglante, la plus meurtrière, la plus destructrice. Non, je pense qu'il y a des modèles moins dramatiques. Pour cela, il faut commencer par refonder l'armée pour qu'elle ne soit pas entre les mains d'un individu qui l'aura pourvue de membres de son ethnie pour la défense de l'ethnie-Etat. La démocratie se brise sur le fracas des armes. Il faut donc dompter la kalachnikov, du moins, l'éduquer. La violence vient d'une source, la même qui se refuse à toute velléité démocratique. C'est là le coeur de nos problèmes. Tant que l'armée sera une ethnie-armée, nous ne nous en sortirons pas. Le premier pas de la nouvelle république, du Congo de demain, sera de domestiquer la force armée qui est aujourd'hui détenue par des sauvages, des barbares, des assassins, des génocidaires pour ensuite faire du droit la première des forces sociales.
LION DE MAKANDA, MWAN' MINDZUMB', MBUTA MUNTU