COMMENTAIRE : Regardez cet homme qui tient un verre de Champagne à la main, l'air heureux, insouciant, sûr de lui, certain du soutien de la France, un homme qui semble lever son verre pour fêter une alliance car il faut bien porter un toast à quelque chose et on trinque au malheur du peuple congolais. L'air malicieux de ce regard suffisant ne se soucie guère des affaires, de sa réputation, du mal qu'il inflige à des enfants, à des femmes qu'il laisse mourir sans soins, il sait que son maître fera en sorte que son règne dure, perdure. L'affaire des Biens Mal Acquis ne piétine-t-elle pas ? Peau noire, masque blanc ; blanche peau, masque noir...
A l'Elysée, il se sent comme chez lui et son sourire montre qu'il a obtenu d'un Sarkozy admiratif de ce génie du mal ce qu'il est venu chercher. La Françafrique est née mais la Françafrique refuse de mourir et ceux qui la ressuscitent pour en faire un phénix sont unis dans un pacte qui est au-delà du bien et du mal car la gloire est ivresse qui ne se boit qu'à la louche des peuples piétinés. A l'heure austère de la crise, la France a plus que jamais besoin de son gouverneur noir et le gouverneur sait que le maître ne peut se passer de lui. La symbiose est parfaite : deux deux côtés, on suce des peuples...
Ils s'aiment et ça se voit ; ils s'apprécient et ça se sent. Sarkozy doit se dire : "Mais comment fait-il pour durer en étant si mauvais ?" Dans les curies élyséennes se trament des drames noir-pétrole, dans l'enceinte de ce qui est toujours une puissance coloniale se fomentent des intrigues qui bafouent les droits de l'homme en vouant les chairs noires aux gémonies.
La dictature qui sourit, la "démocratie" qui regarde admirative, qui peut imaginer une alliance aussi saugrenue ? Telle est la dialectique de la pauvreté, par chaînes et par sangs versés, par souffrances et par conspirations ourdies.
Je prends la terre mère à témoin, je lève les yeux pour pleurer sur l'histoire. L'homme est mort à la naissance de l'argent et même la plus vieille démocratie du monde ne peut sortir que corrompue face à un drame qui tue son âme parce qu'elle a cessé de vivre en esprit pour se complaire dans une matérialité qui n'arrive même plus à la grandir.
Nul ne sort grandit quand il trinque avec le mal, nul ne se prévaut immaculé quand il boit le sang des peuples, nul ne peut vanter la supériorité de sa civilisation quand elle n'est qu'avilissement, déshumanisation parce que, nous le sentons, au travers de cette idylle vache, et le maître et l'esclave se ressemblent car ils sont deux versants d'une même pièce, deux parties en noir et blanc d'un yin et d'un yang qui polluent le monde, qui souillent les esprits. Non, il n'y a pas de civilisation, là où la création humaine (l'argent) vaut mieux que son créateur (l'homme). J'ai été pétri à l'or noir du kimuntu-bomoto, un concept que j'ai remis au goût du jour pour montrer que l'être vrai, pur, est d'abord suffisance ontologique et celui qui se suffit n'a jamais envahi personne, n'a jamais colonisé personne, n'a jamais exploité personne, n'a jamais laissé son voisin mourir de faim.
Je viens de la terre jaune de Boungoto, là où les chefs mangent les bananes qu'ils ont plantées. La beauté encravatée cache en réalité la saleté d'une âme qui s'est vendue au diable pour paraître grande alors qu'au-dedans on est en fait tout petit. Qui peut croire, qui peut imaginer qu'un homme heureux ait envie de souffrir autrui ?
LION DE MAKANDA, MWAN MINZUMB'
Congo-Brazza, dernier bastion de la Françafrique
Rien de surprenant à ce que Robert Bourgi évoque le Congo de Sassou Nguesso dans les affaires de financement de la vie politique française. Les vieilles pratiques y ont la vie dure.
Denis Sassou Nguesso et Nicolas Sarkozy, le 26 mars 2009. REUTERS/POOL New
Mise à jour du 8 février 2012: Le président de la République du Congo, Denis Sassou Nguesso effectue une visite en France du 6 au 11 février. Il participe au forum francophone préparatoire à la conférence "Rio+20" et sera reçu aujourd'hui par le président français Nicolas Sarkozy.
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Dans son interview tonitruante au Journal du Dimanche le 11 septembre, l’avocat Robert Bourgi cite le nom de Denis Sassou Nguesso, président du Congo-Brazzaville, comme l’un des responsables africains susceptibles d’avoir financé la vie politique française. Affirmation aussitôt remise en cause par le porte-parole du gouvernement congolais, le ministre de la Communication Bienvenu Okiemy:
«On voudrait que les Africains soient toujours cette entité sous domination qui prendrait ses ordres à l'étranger, qui obéirait et qui, de temps en temps, ouvrirait le tiroir-caisse pour nourrir un certain nombre de politiques à l'étranger […] Cet argent ne saurait sortir du continent africain et particulièrement du Congo», a-t-il déclaré.
Mais ce vigoureux démenti peine à convaincre. La destination de l’argent du pétrole et la corruption restent des questions centrales au Congo et le pays peut, à bien des égards, être considéré comme l’un de ceux où les traces de la Françafrique sont les plus palpables.
Du pétrole et des pauvres
Régulièrement, des ONG comme l’Observatoire congolais des droits de l’homme ou Publiez ce que vous payez! interpellent le gouvernement pour savoir comment est utilisé l’argent du pétrole et exigent davantage de transparence. En mai dernier, la Conférence épiscopale du Congo a, à son tour, pris la parole pour dénoncer «une mauvaise gestion des ressources» et la corruption du pays.
Le pétrole représente plus de 80% du produit intérieur brut du pays, dont la croissance selon les institutions financières était de 6,7% en 2009, 9,5% en 2010 et devrait atteindre 6,7% en 2011. Mais cet enrichissement ne semble pas se traduire dans la vie quotidienne des Congolais. Plus de la moitié des 4 millions d’habitants vivent en dessous du seuil de pauvreté et dépensent moins de 2 euros par jour, et la quasi-totalité du pays vit au rythme des délestages (coupures) électriques.
Au cœur du problème, la corruption à tous les étages de l’État. Le Congo se situe au 154e rang (sur 178 pays) du classement de l’Indice de perception de la corruption (PDF) établi par Transparency International en 2010, qui mesure le niveau de corruption publique à partir de la perception des entreprises et d’experts sur place.
Les réseaux subsistent
Ce contexte, où la richesse semble concentrée entre les mains de quelques uns, est propice au phénomène de «cour» et à la subsistance de réseaux à l’ancienne. De tels réseaux, même s’ils nourrissent nombre de fantasmes excessifs, persistent à Brazzaville.
Symbole le plus évident: le directeur du seul quotidien du pays, Les Dépêches de Brazzaville, est un Français, Jean-Paul Pigasse, ancien journaliste reconverti en proche conseiller du président Sassou. Son journal soutient sans ambages le pouvoir en place, quitte à lancer de violentes diatribes contre la France et l’ONG Transparency International quand la justice française implique le président Sassou Nguesso dans l’affaire dite des biens mal acquis.
Certaines personnalités françaises, plutôt en manque de reconnaissance à Paris, viennent régulièrement à Brazzaville, comme Jacques Toubon ou Charles Million. Plus déroutante, la présence régulière de l’homme d’affaires Loïk le Floch-Prigent, qui malgré sa condamnation dans l’affaire Elf n’a pas renoncé à son carnet d’adresses congolais.
L’ambiance qui règne autour des cercles de pouvoir à Brazzaville est assez bien évoquée par le journaliste Patrick Besson dans son roman Mais le fleuve tuera l’homme blanc, même si pour les besoins de l’intrigue, il grossit significativement le trait.
La France hésitante
Du côté des relations franco-congolaises officielles, la normalisation est désormais de mise avec la présence de nouveaux acteurs internationaux et l’exigence croissante de transparence. Mais quelques traces d’un passé plus ambigu subsistent ça et là.
Ainsi, certains journaux ont vu la main du président Sassou derrière le départ de l’ancien ambassadeur de France au Congo, Nicolas Normand (2006 à 2009), à qui le président congolais aurait reproché un manque d’impartialité dans le scrutin présidentiel de 2009.
Plus récemment, en février dernier, la remise par la France de la légion d’honneur à Jean-Dominique Okemba, neveu du président, conseiller spécial en charge de la sécurité et homme de l’ombre du régime, a fait couler beaucoup d’encre. Le fait de décorer cet homme du pouvoir a été mal reçu par les milieux d’opposition, qui reprochent souvent à la France de ne pas appuyer leurs revendications.
Une situation politique neutralisée
Il faut dire que le président Sassou, au pouvoir depuis 1979 (malgré cinq ans d’interruption entre 1992 et 1997), est un fin tacticien et contrôle avec habileté la situation politique. Il a su neutraliser le principal parti d’opposition, l’Union panafricaine pour la démocratie sociale (Upads), désormais divisé en deux tendances, dont une proche du pouvoir. Les autres partis d’opposition, malgré leur verve, semblent très isolés et peu représentatifs électoralement.
Au pouvoir, c’est un clan familial ou quasi familial qui tient les rênes du pays: le fils du président Denis Christel est membre de la direction de la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC); sa fille Claudia est sa conseillère en communication; son frère Maurice responsable d’un groupe de presse local; et son gendre, Hugues Ngouélondélé, est maire de Brazzaville.
La grande inconnue demeure la succession du régime. Le président Denis Sassou Nguesso approche des 70 ans et les rumeurs vont bon train sur son état de santé. Que se passera-t-il quand celui autour duquel tout tourne passera la main? Une chose est sûre, c’est une page de l’histoire de la Françafrique qui sera tournée.
Hervé Keruet