CONGO-BRAZZAVILLE : PSYCHANALYSE D’UN PRESIDENT EN FIN DE PARCOURS
Par N’tekolo Menga
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Sassou Nguesso en vieillissant parle ; il parle beaucoup. En parlant de lui-même, il révèle au monde mais surtout à son peuple sa nature profonde et son véritable trait de caractère. La première piste d’exploration de ce sulfureux personnage tient de la trace indélébile évidente laissée par son contexte de naissance qui procède de la complexité de son univers mental et psychologique. Ainsi, s’est forgé en lui une grille de lecture culturelle en déphasage conceptuel d’avec les paramètres qui fondent les outils d’analyse les plus ordinaires des réalités de notre époque.
Sassou Nuesso est né dans ce qu’il apparaît, selon toute vraisemblance, comme un campement au bord de la forêt du fleuve Alima proche d’un village actuellement appelé Edou, fait de peuples pêcheurs-cueilleurs. Et là commence toute l’histoire d’un homme dont le profil psychologique cache mal les peines, les complexes et les frustrations accumulées avec le temps. C’est une des clés pour mieux comprendre les ressorts de son fonctionnement d’adulte porté par une perception de la vie plutôt fondée sur un fort désir de vengeance, d’animosité et de peur viscérale à se regarder soi-même à travers le miroir qui est l’autre à la fois différent et complémentaire, et non une menace qu’il faut à tout prix détruire.
Sassou Nguesso répète à l’envi au premier arrivant sinon au dernier de ses hôtes de passage que lui, enfant, a beaucoup souffert, traversant le fleuve Alima à la nage d’une main tandis que l’autre [main] se chargeait de porter les vêtements et le kit scolaire, avant de parcourir une centaine de kilomètres de distance à pieds nus pour rejoindre son école où il apprend à faire avec la langue du colonisateur blanc ; laquelle langue, pour un ex-colonisé, représentait ou représente encore le premier viol de l’intimité de la personnalité du jeune enfant qui aurait voulu hériter du savoir et de la culture souche de ses parents dont la langue maternelle est la moelle épinière.
S’agissant des parents, un fort soupçon raconte que le père géniteur notamment, est porté disparu. Il serait venu ou du Soudan, peut-être de Dahomey du côté de la Côte-d’Ivoire actuelle, ou encore du Benin. Personne, en tout cas officiellement, n’en sait pas davantage. Il ne faut guère espérer que la vérité sur cette zone d’ombre soit connue un jour tant le culte du secret est une des règles d’or de vie de cet homme froid et déformé par son profil de formation de flic à la roumaine.
Ces souvenirs d’une enfance pénible et vécu comme une corvée ne semblent pas avoir été assumés de bon con cœur. Bien au contraire, ils ont visiblement marqué la conscience d’un homme qui en découvrant la vie dans d’autres contrées du Congo de l’AEF où les études l’ont conduit, à savoir Dolisie, à l’époque, petite bourgade bien aménagée et florissante d’un tissu commercial tenu essentiellement par des sujets portugais. Et puis, bien sûr, Brazzaville, la ville capitale qui comparée à ce qu’étaient les villages le long du littoral du fleuve Alima, la vie et l’organisation administrative coloniale offrait déjà une espèce de confort à ses habitants de race noire quand bien même ils étaient traités avec mépris en tant que vulgaires indigènes.
Le jeune Sassou sorti fraîchement des profondeurs de la forêt vierge équatoriale en a sans doute voulu à l’humanité toute entière. Lui que le hasard du destin a laissé éclore dans un environnement de pure nature, hostile et contraignant s’est construit à partir de ce moment-là, le mental du guerrier vengeur. Patiemment, sans annoncer la moindre ambition, il s’est introduit subrepticement dans les cercles du pouvoir par le truchement de l’armée dont la vocation dans une Afrique en recomposition, était de servir de pilier central pour la consolidation des micros Etats en création.
La suite, tout le monde la connaît. Il a sacrifié tout et tout le monde sur son passage : la fraternité, l’amitié, la loyauté, etc… Prêt à tout, ce qui compte pour lui, c’est d’atteindre des buts qu’il s’est fixé. Ni l’instruction reçue, ni le parcours professionnel n’a pas permis de sédimenter une assise intellectuelle de grande valeur humaniste et ouverte à l’échange, à l’empathie, au désintéressement, ou encore façonné une certaine rigueur morale. Il s’est enfermé dans une bulle, cette forme de refus à se construire une identité qui sublime la vertu comme moyen de dépassement de soi.
Au crépuscule de sa vie, avec une longévité au pouvoir sans pareille dans l’histoire post indépendance du Congo-Brazzaville, aucune bribe, pas la moindre trace d’une pensée politique structurée n’a émergé. Mais, prosaïquement, juste un ramassis de généralités.
Il s’est dédoublé mieux démultiplié, certainement volontairement pour voguer d’un personnage à un autre, en fonction des circonstances et des enjeux, des acteurs en présence et des théâtres d’opérations, toujours tourné vers un but : prendre le pouvoir pour conjurer le sort d’un destin qui a mal commencé ; exercer par propulsion répulsive toute autorité dans un élan maniaco-dépressif qui comble une déficience propre à un trouble de personnalité lié à la recherche d’un repère identitaire perdu ou imaginaire.
Sassou Nguesso, à force de démultiplication, a fini par échapper à l’indispensable connexion avec l’essentiel qui est en chacun : l’être intérieur. S’il sait au millimètre près ce qu’il veut (le pouvoir), il ne sait pas ce qu’il aime. Même pas ses enfants. Il n’en a quasiment élevé aucun. En tout cas, pour ce qui concerne ceux et celles de ses enfants qui se réclament de sa descendance directe, pour la plupart reconnus bien longtemps après leur naissance. Il a fait le choix de ne pas aimer, au risque de tomber amoureux et donc de nourrir de la compassion et du ressenti affectif.
Une question pour le moins iconoclaste peut se poser : Sassou est-il de bonne foi ? Allons-y ! Sassou Denis, devenu Sassou Nguesso Denis, du fond de sa personnalité complexe est peut-être de bonne foi lorsqu’il avance qu’il travaille bien, qu’il a tout donné à ce pays, que ce sont les autres (ceux/celles qui le critiquent) qui seraient, de son point de vue, malhonnêtes et donc de mauvaise foi.
Cette approche d’analyse s’appuie sur la rapide démonstration des lointaines origines des ressorts qui ont forgé le socle intérieur de l’homme Sassou Nguesso. Comment comprendre autrement que lui clame à qui veut l’entendre que les routes, les écoles, les hôpitaux, les aéroports, les sociétés (entreprises) et tout ce qui fait le Congo d’aujourd’hui existent bel et bien. Certes de façon insuffisante et souvent en mauvais état de réalisation ou de fonctionnement, mais ça existe. Pour lui, c’est cela son bilan, positif. Ce que lui n’a pas connu dans sa cuvette natale à Edou.
Sassou Nguesso se sent blessé, offusqué et offensé lorsqu’il lui est fait le reproche sur la pénurie d’eau, d’électricité, de carburant ou encore l’existence des marres d’eau qui rendent la circulation chaotique sur Brazzaville par exemple après une pluie. Il faut l’entendre rétorquer que les gens (le peuple) n’ont aucune raison de se plaindre d’autant que chez lui (entendez sa résidence de Mpila) aussi des délestages d’électricité sont légions et on trouve des marres d’eau sur toutes les voies de circulation à Mpila y compris devant sa fameuse résidence. Cela est bien vrai !
Ne pas le comprendre, c’est passer à côté d’une dimension primordiale qui met en évidence la psychologie d’un enfant, à la naissance livrée aux fourches caudines de la pauvreté et de l’oubli, que l’histoire a hissé à la plus haute marche de l’ascenseur social de son pays pour en faire un Président, hélas dictateur nombriliste de triste mémoire et kleptomane par correction.
Ironie du sort. L’histoire de Sassou finira là où elle a commencé : à Edou. En 2016, après son départ, il y a très peu d’alternatives que ce vieil homme fatigué et chargé de lourds contentieux historiques trouve pour sa retraite un accueil délirant à Madingou, à Lékana, à Hinda,… sinon que de se recroqueviller sur son village qu’il a aménagé en conséquence pour y pratiquer, certainement, de l’élevage de bovins et peut-être par réflexe atavique, un peu de pêche. Peut-on supposer…
Juste retour des choses pour une calamité née.
Fait et publié à Brazzaville
Le 09 février 2014