Avec ses épaules tombantes, sa diction hasardeuse et ses lunettes proéminentes, Jean-Dominique Okemba (JDO) est depuis 15 ans l’ombre du président Denis Sassou Nguesso. « Il est rare qu’il se déplace sans lui », note une source à l’Elysée. Décoré de la légion d’honneur, en 2011, sur demande Nicolas Sarkozy, le contre-amiral est un habitué du palais présidentiel français. Surtout du bureau du secrétaire général.
De Dominique de Villepin à Claude Guéant, ils ont été quelques-uns à fréquenter cet homme à la grande silhouette d’ascète. Chef des services de renseignements, Jean-Dominique Okemba était chargé des remises d’espèces au clan Chirac, selon le témoignage du 4 octobre 2011 de l’avocat Robert Bourgi dans le dossier des biens mal acquis.
Une mission de grande confiance qui a valu à JDO d’être considéré comme le vrai n° 2 du régime. Et l’arrivée au pouvoir des socialistes en France n’a pas mis fin à ses visites. En février 2015, à l’occasion du sommet Afrique France sur la croissance, c’est lui qui représentait à Paris la République du Congo.
« Il s’est fait dans le sillage du président, souffle un ancien haut cadre du renseignement français où il est particulièrement apprécié. Ses rivaux ont peu à peu été mis sur la touche quand lui a patiemment tissé sa toile. » Et cela en nommant proches et parents aux postes clés des organes de renseignement du pays. La sécurité du président elle-même et l’état-major de l’armée lui rendent des comptes. Une position privilégiée « d’interface entre le président et le gouvernement », selon une note de la DGSE (les services français), encline à le considérer comme « le numéro 2 du régime et un successeur potentiel ».
Même l’explosion de Mpila ne l’a pas fait tomber. Le 4 mars 2012, cinq violentes explosions retentissent dans Brazzaville. Les vitres tremblent jusqu’à Kinshasa, de l’autre côté du fleuve. 282 morts, des milliers de blessés : le dépôt d’armes de la caserne militaire, situé dans un quartier populaire, a explosé. Les bruits d’une tentative de coup d’Etat se répandent comme une traînée de poudre et Jean-Dominique Okemba vacille à la tête du Conseil national de sécurité. Le président l’écarte de l’enquête. Pendant toute une matinée, il sera même interrogé sur sa possible implication par Pierre Oba, l’ancien ministre de la sécurité qu’il avait pourtant réussi à marginaliser. Une petite humiliation sans conséquence : ce sera son adjoint, Marcel Ntsourou, qui sera condamné en 2013 à cinq ans de travaux forcés pour détention illégale d’armes avant d’être envoyé l’année suivant aux travaux forcés à perpétuité.
Si Jean-Dominique Okemba n’est pas inquiété, c’est sans doute que son influence s’étend au-delà des services de sécurité. Car le « trésorier », un autre de ses surnoms, préside également le conseil d’administration de la filiale congolaise de la BGFI, la plus grande banque d’Afrique centrale, héritière de la FIBA, l’établissement créé par Elf et dissout en 2000, lorsque le procès Elf a permis d’établir que la FIBA accueillait les commissions destinées aux présidents de l’Afrique pétrolière.
« Quel pétrolier intelligent n’a pas de compte à la BGFI ? », sourit Antoine Glaser, l’ancien patron de la Lettre du continent. « Dans ses mains, JDO a l’information et l’argent, siffle un collègue des services occidentaux, c’est le rêve de tout patron d’agence de renseignement. »
Ce n’est pourtant pas l’épreuve du feu qui a forgé son emprise sur le président : Jean-Dominique Okemba n’était que deuxième attaché à l’ambassade de Kinshasa pendant la guerre civile (1997-1999). Ce n’est pas non plus sa science des arts militaires ni une quelconque vision économique ou politique qui ont permis son ascension. C’est tout simplement une histoire de famille dans le nord du pays, au sein du clan Mbochi.
Né en 1955 dans la province des Plateaux, Jean-Dominique Okemba voit son destin basculer quand meurt prématurément son père, gardien des fétiches du clan. Le père de Denis Sassou Nguesso se voit confier ces reliques sacrées, à une condition : Jean-Dominique sera élevé avec le futur chef de l’Etat. Pour le grand public, l’orphelin est le neveu de Denis. Pour les intimes, c’est bien un frère de lait, jusque dans les loges maçonniques. Jean-Dominique récupérera d’ailleurs les précieux fétiches en 2004.
« Lors des cérémonies traditionnelles, c’est lui qui tient le bâton sacré », dit un participant. Rien de folklorique là-dedans : l’univers mystique congolais est bien l’une des clés pour comprendre le pouvoir de Jean-Dominique Okemba. « C’est un sphinx, qui parle peu et écoute. En tête-à-tête, il peut rester longtemps sans dire un mot. Mais quand il s’énerve… C’est le plus africain du premier cercle, résume à Paris un de ses collaborateurs. Lorsque Sassou passera la main, Jean-Dominique se considérera comme son héritier. »
De Denis-Christel ou Edgar, les deux enfants du président les plus avides de pouvoir, JDO dit ne rien craindre. « Ce ne sont que des enfants », aurait-il confié à ses proches. Pourtant, ses rapports avec la famille sont passés de froids à exécrables. Le 31 mars 2014, en marge d’un sommet UE Afrique à Bruxelles, JD Okemba a été violemment pris à partie par Claudia Sassou Nguesso, dont on dit qu’elle l’aurait giflé.
L’algarade, à défaut d’être vérifiable, illustre la tension qui s’est installée entre les héritiers de sang et « l’ombre » de Sassou. « Il bloque beaucoup de dossiers que nous voulons faire avancer avec les filles du président, s’agace un homme d’affaires israélien. Et personne ne comprend pourquoi il a une telle influence. »
Un entrepreneur français habitué du palais présidentiel s’étonne toutefois qu’Okemba passe une tête soucieuse à chacune de ses audiences. Comme inquiet des rendez-vous que le chef de l’Etat prend sans le consulter. Là réside sans doute la principale faiblesse de JDO : Sassou Nguesso lui-même, dont il craint avant tout de perdre l’oreille.
Jusqu’alors la fidélité du président à son égard n’a jamais été démentie. Mais le président congolais n’a jamais eu à trancher entre les ambitions de son frère de lait et les désirs de son fils, allié à un nouvel ambitieux, Lucien Ebata. Et l’heure du choix approc