Opinion Internationale commence la publication de documents, parfois signés de la main du Président de la République M. Denis Sassou-Nguesso, mettant en lumière une politique systématique de maintien au pouvoir coûte que coûte en 1999 – 2000 mais aussi aujourd’hui, quitte à ordonner parfois des crimes qui tombent fort probablement sous la qualification de crimes contre l’humanité.
Les premiers documents – dont nous publions des extraits – portent sur les années 1999 – 2000 : M. Denis Sassou-Nguesso, Président de la République du Congo-Brazzaville, a signé le 27 septembre 1999 un Plan d’activités et le 7 janvier 2000 un courrier officiel ordonnant des crimes systématiques pour, selon ses termes, « continuer de nous appuyer sur la force comme moyen essentiel de la conservation du pouvoir »…
Un témoignage accablant décrit les conséquences du plan commandité par l’actuel Président de la République du Congo- Brazzaville.
A la question : « quel avenir voulez-vous pour vos enfants ? », les Congolais sont de plus en plus nombreux à scander : « tout sauf Sassou III ». Et pour cause… M. Denis Sassou-Nguesso a ordonné en 1999 et 2000 des crimes systématiques contre son peuple pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Il pourrait s’y préparer à nouveau en 2015 et 2016. Le peuple congolais le sait. Opinion Internationale commence à en apporter les preuves accablantes…
C’est une constance de quelques chefs d’Etats africains de vouloir s’accrocher au pouvoir quitte à violer ou modifier au forceps la Constitution de leur pays lorsqu’arrive le terme de leur deuxième mandat présidentiel. On l’a vu l’an passé avec Blaise Compaoré au Burkina- Faso, mais le peuple et l’armée en ont décidé autrement… On le voit malheureusement avec le Burundi où Pierre Nkurunziza vient d’être réélu pour un troisième mandat présidentiel controversé et pourtant condamné par de multiples manifestations de rue à Bujumbura et par Barack Obama lui-même lors de sa récente visite au Kenya.
M. Denis Sassou-Nguesso cherche, depuis plusieurs mois, à se maintenir au pouvoir au-delà de son mandat qui finit en juillet 2016. Il a tenté, ce mois-ci à Sibiti, de lancer un « Dialogue national » qui a avorté aussi vite qu’il s’est ouvert. Il envisage maintenant de convoquer un référendum en octobre prochain pour modifier la Constitution.
Mais, avec M. Denis Sassou-Nguesso, les Congolais et la communauté internationale ont une autre raison que de « simples » considérations constitutionnelles (l’âge, les deux mandats déjà effectués) de ne pas vouloir de Sassou III. En effet, M. Denis Sassou-Nguesso ne peut se représenter l’an prochain pour une autre raison qui nous fait entrer dans une autre dimension : manifestement, – et Opinion Internationale en apporte les preuves écrites et accablantes -,M. Denis Sassou-Nguesso a aussi violé les articles 10 et 11 de sa Constitution qui stipulent :
ARTICLE 10 […] Tout individu, tout agent de l’Etat, toute autorité publique qui se rendrait coupable d’acte de torture ou de traitement cruel et inhumain, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, est puni conformément à la loi.
ARTICLE 11 Les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité, le crime de génocide sont punis dans les conditions déterminées par la loi. Ils sont imprescriptibles. […]
Venons-en aux faits : dans des documents que s’est procurés Opinion Internationale, dont certains sont signés et paraphés de la main du Président de la République, M. Denis Sassou-Nguesso ordonne à ses fidèles de mettre en place une politique cohérente et systématique de crimes de nature diverse pour se maintenir au pouvoir coûte que coûte… Passage en revue…
Le contexte des documents du jour
Nous sommes en 1999 et 2000. Le Congo sort à peine d’une guerre civile, qui a été ponctuée par un coup d’Etat orchestré par M. Denis Sassou-Nguesso en 1997. Ce dernier avait déjà été Président du Congo entre 1979 et 1992, avant que M. Pascal Lissouba ne soit élu en 1992.
Mais dès 1997, M. Denis Sassou-Nguesso entend bien reprendre le pouvoir et rassemble ses miliciens, les « Cobras », ainsi que des forces angolaises envoyées par M. Dos Santos, pour contrer les « Ninjas » de M. Lissouba. Victorieux de ce premier conflit, M. Denis Sassou-Nguesso s’autoproclame Président en octobre 1997.
A partir de 1998, les miliciens de M. Lissouba, retirés dans les régions du Sud, en particulier dans le Pool et au Niari, mènent une résistance considérable, avec à leur tête le Pasteur Ntumi. Une seconde vague de violences s’organise donc dans ces régions, afin de réprimer une fois pour toutes les voix divergentes et imposer le règne de M. Denis Sassou-Nguesso. C’est dans ce contexte qu’ont été rédigés les documents qui suivent…
Premier document accablant : l’Opération « Mouébara »
Qui est Mouébara ? C’est le nom de la feu-mère de Denis Sassou-Nguesso, Emilienne Mouébara. A quel document M. Sassou-Nguesso ose-t-il associer le nom de sa mère ?
Ce document est le plus précis, peut-être le plus accablant : le Plan d’activités du Trimestre IV de l’Opération « Mouébara », porte sur la période du 1er octobre au 31 décembre 1999. Il a été signé le 27 septembre 1999 par le Général de brigade Essongo, au nom d’un « Comité d’Actions Spéciales » dont nous reparlerons dans le prochain document. M. Noël Léonard Essongo n’est pas n’importe quel général.
Ce document est co-signé et tamponné par le Président de la République et Général d’Armée, M. Denis Sassou-Nguesso. Le plan d’activités qu’il contient vise les opérations, notamment armées, à mener à l’encontre des personnes hostiles au pouvoir en place.
Le tableau qui y figure mentionne explicitement les « objectifs » à atteindre dans différentes villes du Pool-Nord, du Bouenza-Nord et du Niari, fiefs de l’opposition et des forces du Président déchu Pascal Lissouba, les fameux Cocoyes, Zoulous et Mambas de guerre.
Sur ce tableau du Plan d’activités en question, les objectifs exprimés sont d’une clarté déconcertante. Les ordres de « dépeupler » les zones visées, de « maintenir les fugitifs dans les forêts par la terreur du pilonnage et les pousser à la mort lente par la famine et les maladies » et de « brûler tout jeune en âge de combattre en provenance des zones à forte résistance » ne laissent pas de doute quant aux intentions de ces opérations. Les ordres de bombardements de « lieux à forte concentration humaine » tels que « les hôpitaux » ou « les marchés », explicitent davantage la nature civile des cibles de cette opération.
Pour parachever la dimension programmatique, planifiée, volontaire… et macabre de ces crimes annoncés, le Tableau se termine sur un bilan prévisionnel. Manifestement, il y a obligation de résultats : 125.000 personnes tuées, 275.000 fugitifs et 40.000 exils forcés sont programmés dans le but d’un « dépeuplement total de 430.000 hommes ».
Deuxième document : le plan politique
Paradoxalement, c’est dans un document légèrement postérieur au premier que se dévoilent les intentions et le caractère politique et systématique du plan mis en œuvre par le premier document.
Dans une lettre du 7 janvier 2000 adressée à cet obscur Comité Mixte d’Actions Spéciales, composé « des hommes du pouvoir », M. Denis Sassou-Nguesso dévoile les lignes directrices de sa politique du moment. Une citation de Mao Zedong en éclaire le propos : « Le pouvoir est au bout du fusil ». Une mention qui rappelle, à ceux qui l’auraient oublié, les références idéologiques du président congolais.
Le courrier fait notamment référence à l’Opération « Mouébara » de notre première pièce à conviction : M. Denis Sassou-Nguesso préconise la poursuite de l’Opération dans le but de
« parachever impérativement le dépeuplement des 430.000 personnes, dont l’exécution a été perturbée ».
M. Denis Sassou-Nguesso appelle aussi les membres du Comité à « réfléchir profondément » sur d’autres points : « recenser les membres de nos pelletons [la faute d’orthographe est dans le document] d’exécution qui menacent de révéler l’existence et l’emplacement des charniers à la presse étrangère », faire en sorte que « l’aide humanitaire soit prioritairement livrée aux populations favorables au pouvoir et maintenir celles qui nous sont hostiles dans un état de précarité qui les oblige à se soumettre », « renforcer les réseaux à l’étranger afin de mieux traquer les opposants », « organiser l’exécution des détenus politiques »…
Ce courrier précise aussi dans quel état d’esprit est le chef de l’Etat vis-à-vis de son peuple… Par exemple : «le peuple n’est ni plus ni moins qu’un bouclier dont il faut se servir habilement ».
Qui est vraiment Sassou ?
En somme, on peut se demander si M. Denis Sassou-Nguesso n’a pas ordonné, et ce à plusieurs reprises, la perpétration de crimes contre l’humanité. « Crimes imprescriptibles » comme le mentionnera deux ans plus tard la nouvelle Constitution concoctée par le même homme et aujourd’hui en vigueur dans le pays.
Selon nos informations, ces documents accablants ont récemment été transmis notamment à la Cour Pénale Internationale et au Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies.
Ces premiers documents éclairent la nature du personnage qui est encore aujourd’hui à la tête de l’Etat du Congo-Brazzaville. Et, on peut le craindre, au vu d’autres documents en notre possession, M. Denis Sassou-Nguesso pourrait se préparer à ordonner de nouveaux crimes pour rester au pouvoir en 2016. Coûte que coûte…
Triste affaire, à suivre donc…
Michel Taube avec Stéphanie Petit et Maria Gerth-Niculescu
Le témoignage de Full sur la « chasse à l’homme » orchestrée par « Sassou »
Un témoignage recueilli par Opinion Internationale illustre les pratiques mentionnées dans le plan d’activités de l’Opération « Mouébara ».
Sous le pseudonyme de Full, un homme de Sibiti, ville située dans la région du Bouenza à 250 kms de Brazzaville, a accepté de témoigner. Lorsqu’il aborde la première guerre civile de 1997, le survivant des bombardements de Sibiti raconte : « On nous poussait vers la forêt. Quand les Angolais venaient, ils faisaient du porte-à-porte pour exécuter les garçons, on était obligés de fuir, de nous mettre à l’écart pour éviter d’être exécutés. ». Il ajoute : « C’était après octobre 1997 quand Denis Sassou-Nguesso a pris le pouvoir, il a envoyé des Angolais faire la chasse à l’homme.[ …] jusqu’en décembre 1998 ».
Réfugié en France depuis septembre 2009, Full a perdu cinq membres de sa famille au cours de bombardements et de tirs à la mitraillette entre octobre 1997 et octobre 1998. Il raconte : « En 1999, les combats ont continué. En juin, précisément le 16 juin 1999, Sassou et son état-major ont envoyé les hélicos à Sibiti pour bombarder la population. J’ai perdu ma mère, mes deux sœurs aînées, une nièce, mon père. »
Lorsqu’il évoque les funérailles des membres de sa famille, Full explique : « On a dû les enterrer dans une fosse commune. Ca nous a vraiment traumatisés, jusqu’aujourd’hui il y a quelque chose qui n’est jamais parti de l’esprit. ».
Full précise qu’il a tenté de « faire chuter Sassou démocratiquement » lors de l’élection présidentielle de 2009, en vain. Il a été arrêté alors qu’il manifestait contre les résultats de l’élection. Dès qu’il a réussi à s’échapper, il a rejoint la France.
Propos recueillis par Stéphanie Petit