Il faut apprendre à lire l'histoire politique africaine avec froideur et rigueur, rigueur et objectivité, objectivité et détachement car seule une lecture sociologique sans parti pris peut permettre véritablement de tirer les leçons de l'histoire.
Notre thème dans cet article est celui-ci : quelle est l'idéologie qui a présidé à la conquête et à la conservation du pouvoir de la pseudo-indépendance à 1992 qui inaugure la courte période véritablement démocratique du Congo dans un contexte pluriethnique ethnique doublé d'une dichotomie régionale tranchée ?
Le pouvoir a vocation de mobilisaion, de regroupement et dans un contexte où les idées et les projets politiques sont faibles ou inexistants puisque les idéologies politiques sont importées (socialisme, capitalisme, libéralisme, communisme) et inadaptées sociologiquement, l'identité prend le dessus et qui dit identité au sens d'un regroupement large renvoie en Afrique noire à l'ethnie qui est l'affinité atavique qui gère le sentiment d'appartenance, bref la grégarité. L'ethnie dans une société multiethnique est la première forme de regroupement naturel, instinctif car l'on s'identifie, on s'amalgame à l'autre parce qu'il nous ressemble culturellement, linguistiquement, historiquement. Il n'y a qu'à voir l'occupation ethnodéterminée de l'espace avec les originaires du nord d'un côté et les originaires du sud de l'autre dans une ville comme Brazzaville.
Par ethnoconservation du pouvoir, nous entendons la conspiration politique qui a pour objectif de conserver le pouvoir au sein d'une même ethnie ou d'une ethnorégion (sud, nord). L'ethnorégion ou l'ethnie agissent comme des partis politiques qui ont vocation à conquérir et à conserver le pouvoir - sauf que les partis une fois le pouvoir obtenu, se mettent au service du peuple, de tous. Enfin, c'est du moins ce qui se passe dans les vraies démocraties. La lecture de notre histoire doit faire une parenthèse de la seule élection démocratique que le Congo ait connue : celle du professeur Pascal Lissouba. Toute la période qui précéda 1992 était régie par un seul antagonisme, une seule adversité : la rivalité nord/sud qui commença avec Opangault et Youlou qui réussirent pourtant à surmonter leurs ambitions pour favoriser la paix.
La lecture de la ligne successorale de la pseudo-indépendance à 1992 révèle une constante : la volonté délibérée de conserver le pouvoir dans un camp, dans une optique de confiscation et non de démocratie car si légitimement un parti politique, un régime royal peuvent conserver le pouvoir dans leur giron, dans une république pluriethnique, il est anormal que le pouvoir ne connaisse pas d'alternance ethnique. Qu'est-ce qui dicta que Massambat-Débat succède à Fulbert Youlou ? Est-ce un hasard qu'ils furent tous deux de la même ethnie ? Et comment comprendre qu'un Kouyou, Yhombi succède à un autre Kouyou, Marien Ngouabi et qu'ensuité Sassou succède à Yhombi, conservant le pouvant au nord ? Fait hasardeux ou acte délibéré mûrement réfléchi ?
L'ethnoconservation du pouvoir n'est pas un mythe mais bien une réalité historique : on s'efforce de placer un membre de son ethnie en orbite pour bénéficier de privilèges immérités au détriment de tous ceux qui ne sont pas de son ethnie...
J'ai déjà évoqué la différence entre une démocratie ethnisée et une démocratie de projet car dans la première, ce qui tient lieu de projet, c'est l'identité du candidat tandis que dans la démocratie de projet, l'identité de l'individu n'a aucune importance ; seul compte son projet de société qui est bien entendu au profit de toute la société.
L'Afrique développe actuellement une autre tendance qu'on pourrait appeler le caractère héritable du pouvoir dans une même lignée descendante ou "royalisation républicaine". A première vue, rien ne peut empêcher un fils de chef d'Etat de succéder à son père car c'est un citoyen comme un autre mais il y a un hic : il faut qu'il soit normalement démocratiquement élu ; or, nous savons que ce n'est pas le cas, sa prétention au trône n'étant motivée que le fait qu'il est fils de président comme si on était sous le régime de la royauté et non de la république.
Au Gabon, au Togo, en RDC, et au su de ce qui se profile en Guinée Equatoriale, au Congo-Brazzavillle où ethnoconservation se combine avec une royalisation républicaine, on peut penser que nous sommes devant des situations politiques complexes qui exploitent plusieurs modes de gouvernance mêlant semblant d'élection, pouvoir hérité et pouvoir ethnorégionalisé. A l'état actuel, le pouvoir africain apparaît comme une addition de plusieurs fausses légitimités...