Ceux qui n'ont pas lu mon texte qui traite de la tradi-république devrait le faire pour comprendre la voie démocratique que nous envisageons pour l'Afrique. Dans ce texte, je démontre les limites de la démocratie occidentale et vous constaterez en observant ce qui se passe en Egypte qu'il y a quelque chose qui ne va pas : il n'y a pas un respect scrupuleux des textes constitutionnels comme le voudrait la démocratie occidentale. Il y a eu une révolution place Tahrir pour chasser Hosni Moubarak du pouvoir. Des élections sont organisées qui voient le triomphe de monsieur Morsi, un membre de l'organisation "FRERES MUSULMANS" pour quatre ans.
Après un règne chaotique et sectaire du président Morsi, les Egyptiens occupent à nouveau la place Tahrir et forcent l'armée à démettre le président Mohamed Morsi pourtant élu démocratiquement par treize millions de personnes ! Sous Morsi, l'Egypte a assisté à l'effondrement de l'Etat, à des coupures d'eau, d'électricité, des viols, des meurtres, bref, des phénomènes que l'on constate en pire au Congo-Brazzaville sans que cela n'aboutisse à une révolution - même quand des populations innocentes sont explosées au petit matin le 4 mars 2012 !
L'armée tant décriée hier en Egypte, est saluée ce soir en héros. Néanmoins, on peut se demander d'où l'armée tient sa légitimité de déposer Mohamed Morsi. Ne doit-on pas parler clairement d'un coup d'Etat opportuniste perpétré par l'armée égyptienne ? La question que l'on se pose est la suivante : comment les démocraties occidentales vont-elles réagir à cette situation - sans renier leurs propres principes ? Peut-on imaginer en France que l'armée démette un chef d'Etat parce que le peuple est dans la rue ?
Mohamed Morsi avait encore trois ans de règne légitime. En transformant sa victoire démocratique en dictature religieuse, Morsi a déclenché lui-même la deuxième révolution qui a de lourdes conséquences sur le plan de l'éthique politique car cela voudrait dire que le peuple peut remettre en question les résultats des urnes et c'est en Afrique que l'on assiste à ce nouveau phénomène que l'on ne peut imaginer au Congo pour deux raisons : d'abord parce que les Congolais ne peuvent pas sortir dans la rue pour envahir un espace public et l'occuper pacifiquement jusqu'à provoquer l'effondrement de la dictature Sassou et enfin parce que l'armée est une milice tribale qui ne prendra jamais le parti du peuple contre Denis Sassou Nguesso.
Que va-t-il se passer si après de nouvelles élections le nouveau président de la république ne fait pas l'affaire en Egypte et qu'une partie du peuple décide à nouveau d'occuper la place Tahrir ? La rue va-t-elle désormais gouverner l'Egypte au travers de coups d'Etat militaires ? C'est vrai qu'entre un candidat de l'ancien régime et Morsi, les Egyptiens avaient choisi ce dernier pour ne pas retomber dans l'ancien système qu'ils avaient vomi. Hélas, les Egyptiens accusent Morsi de ne pas avoir respecté le "contrat démocratique"...
Morsi a changé de Constitution mais il n'est pas certain que les militaires ne la remplacent pas par une Constitution laïque. Embarrassés, les Etats-Unis sont actuellement en pleine discussion avec les généraux égyptiens car la Constitution américaine interdit de financer un régime putschiste. Après avoir soutenu Morsi, les Américains le lâchent pour parlementer avec l'armée égyptienne qu'ils financent à coups de milliards de dollars chaque année juste pour préserver la sécurité d'Israël. Et de ce point de vue, Morsi a bien travaillé en sabotant les tunnels entre l'Egypte et la bande de Gaza qui permettent la livraison d'armes iraniennes au Hamas.
Nous déplorons tout de même que Morsi et son équipe ne soient plus libres de leurs mouvements et que les chaînes de télévision des frères musulmans n'émettent plus, une attitude pas du tout démocratique. Certes, on écarte cet homme du pouvoir mais qu'est-ce qui justifie sa privation de liberté de circulation et de liberté d'expression ? En privant les frères musulmans de liberté de circulation et d'expression, ce coup d'Etat que certains qualifient de "populaire" prétend récupérer des libertés ici tandis que là, il prive des citoyens égyptiens d'autres libertés. Et ceci pourrait conduire à une radicalisation des frères musulmans qui ont des ramifications puissantes dans le monde islamique...
Quelque chose de nouveau apparaît en Egypte en matière de concept de mandat politique démocratique : ailleurs, dans les vieilles démocraties, sa variable la plus importante est temporelle, c'est-à-dire, sa durée que tout le monde respecte pour ensuite changer les choses une fois la durée du mandat écoulée si l'on n'est pas d'accord ou satisfait de la façon dont le pays a été gouverné ; l'Egypte invente désormais une autre variable en la nécessité de respecter le contrat de promesses contenues dans le mandat - un principe que personne n'a vraiment jamais respecté même dans les vieilles démocraties où la variable durée de mandat reste le critère qui conditionne toute alternance politique - sauf en cas de démission, un cas de figure assez rare que l'on vient d'observer en Belgique où le roi Albert II vient d'abdiquer en faveur de son fils, une situation qui peut se comprendre pour les monarques à vie.
Désormais, si on s'en tient à ce qui se passe en Egypte, en Afrique, le continent de la démesure, la durée d'un mandat démocratique n'est plus la variable la plus importante qui règle l'alternance politique - ce qui peut paraître dangereux car la place Tahrir n'appartient à personne et rien n'empêche que demain les frères musulmans la prennent pour faire tomber le nouveau régime qui sortira des urnes après la transition...
Quel type de démocratie sied le mieux pour l'Afrique ? Est-il possible d'envisager une autre voie qui nous ressemble au lieu de singer la démocratie à l'occidental, chaque fois que nous choisissons un mode de gouvernance ? Nous en avons la conviction : l'Afrique mérite une autre voie, une voie plus adaptée à l'histoire, aux identités profondes de ses peuples si elle ne veut pas passer à l'instar de l'Egypte de la dictature à la révolution, de la révolution à la démocratie, de la démocratie à la dictature démocratiquement élue et de cette dernière à la révolution comme si les idées politiques tournaient en rond.
Nous sommes inquiets qu'une armée nationale agisse en piétinant le cadre démocratique mais si telle est la volonté de la plus grande majorité du peuple, qu'il en soit ainsi mais rien ne garantit que le successeur de Morsi ne subisse à son tour la loi de la fièvre révolutionnaire qui s'empare des foules dès qu'elles entrent en transe place Tahrir. Certes, le rôle de l'armée est de maintenir l'ordre public mais doit-elle faire et défaire les régimes ? L'armée ne devrait-elle pas rester apolitique ?
En matière de mode de gouvernance, l'Afrique doit arrêter d'imiter les puissances du monde ; il est temps qu'elle devienne elle-même, qu'elle suive sa propre voie, celle de la tradi-république, une démocratie plus consensuelle que la démocratie républicaine couronnant la victoire d'une partie du peuple sur une autre. Chers amis, nous vous le disons derechef : la démocratie occidentale est la dictature électorale de la majorité sur la minorité obligée de se plier au choix du plus grand nombre qui n'est pas forcément le meilleur comme nous le constatons avec Mohamed Morsi ou comme les Allemands l'ont constaté hier avec l'avènement d'Hitler au pouvoir...