Monsieur Nowinsky,
bonjour.
Les méandres de ma pensée plongent parfois en profondeur de mon être pour rechercher les valeurs qui charpentent les concepts selon les cultures, selon les identités, selon les époques. Il m'apparaît que la nation selon l'Occident s'est imposée au monde au travers de la république mais ce n'est pas ce que mes ancêtres appelaient "NATION", "TSI".
J'ai bien cerné votre message qui porte sur l'existence de deux Congo au lieu d'un seul et, en théorie, AU SENS MODERNE, rien n'empêche que les deux Etats ne fassent qu'une même nation, qu'une même république, et je pourrais même dire un même TSI ou une sorte de permanente référence à l'origine (c'est d'ailleurs ce qui fait la force de la "nation" juive qui domine le monde, le Tanak talmudisé aidant). Hélas, à l'heure actuelle, c'est plus facile à dire qu'à faire.
En dépit de cela, c'est un plaisir de lire des gens comme vous parce qu'ils portent un idéal si élevé qu'il paraît parfois comme irréalisable à cause de facteurs psychologiques et juridiques qui semblent insurmontables à première vue mais vous et moi savons que toutes les divisions artificielles introduites de façon allogène en Afrique ne sont pas insurmontables : il suffit aux Africains de tourner le regard vers leur passé et de regarder au-dedans d'eux-mêmes. Le problème est que le Muntu a égaré sa véritable identité en portant les oripeaux d'identités républicaines allogènes. Avant, il n'y avait pas de "Congolais",de "Gabonais", de "Zaïrois", etc, mais seulement des Tékés, Vilis, Oubanguis, Ngala, Mbochis, etc. La référence n'était pas d'abord l'espace, l'extériorité mais l'intériorité, les valeurs et les kandas traversaient les ethnies comme des noeuds de cohésion, une cohésion qui se perdait dans la nuit des origines. Le fait d'être un MUSSI caractérisait le MUNTU et ce MUSSI était charnellement et historiquement lié à d'autres BISSI KANDA éparpillés dans toute l'Afrique.
LA NATION SE CONFONDAIT AVEC UNE CONSCIENCE IDENTITAIRE QUI REMONTAIT A L'ORIGINE DES SOCIETES HUMAINES - ALORS QUE DE NOS JOURS, NOS IDENTITES NATIONALES SON RECENTES, FLUCTUANTES ET RENVOIENT A UN SIMPLE PARTAGE D'UN ESPACE COMMUN REPUBLICAIN BORNE PAR LES PUISSANCES DU MONDE, ESPACE CENSE NOUS OCTROYER LES MEMES DROITS. POUR LA PETITE ANECDOTE, MES ANCETRES SE DEPLACAIENT MAIS DONNAIENT TOUJOURS LES MEMES NOMS A LEURS NOUVELLES IMPLANTATIONS - COMME SI L'ESPACE N'EXISTAIT PAS, COMME S'ILS NE S'ETAIENT PAS DEPLACES...
Hier, j'ai appris une chose étrange : le wolof serait une langue d'origine congolaise parce que les colons français auraient déporté des Congolais au Sénégal ou si je veux rester cohérent des BISSI X. Socle véritable de notre muntu, adn culturel de notre kimuntu ou humanessence, la cape identitaire du MUSSI n'est pas morte, épine qui empêche, par ailleurs, la nouvelle identité républicaine de prendre.
NOUS AVONS EGARE, AU DEDANS DE NOUS, NOTRE IDENTITE ORIGINELLE MAIS FAUTE DE POUVOIR LA TUER, LA NOUVELLE APPORTEE PAR LES FILS D'EUROPE A DU MAL A PRENDRE...
Monsieur Nowinsky, vous êtes peut-être Européen et il vous sera difficile de saisir le concept du MUSSI (qui marque l'appartenance) ou MUSHI KANDA : le Mussi marque l'appartenance à un kanda, à un clan (ensemble de personnes qui se reconnaissent avoir un ancêtre commun) et l'ensemble des Ma Kanda constituaient la nation véritable, le tsi profond sur lequel régnait le roi, le Makoko ou le Maloango. CETTE NATION AVAIT DE SPECIFIQUE NON PAS SON ATTACHEMENT A UN ESPACE QUI POUVAIT CHANGER SELON SES MIGRATIONS MAIS SA DEFINITION PAR RAPPORT A UNE INTERIORITE, A UN KIMUNTU.
Combien sommes-nous à vouloir retourner à notre identité atavique ou combien sommes-nous à ne pas l'avoir perdue en dépit d'une culture allogène inculquée par le colon au travers de l'éducation et de l'attachement à une nouvelle nation basée sur un modèle républicain venu d'ailleurs ? Avons-nous la force de reconstituer les véritables frontières, les véritables nations en redessinant les barrières factices, virtuelles imposées par les diviseurs de l'Afrique ? Ils ont redessiné les frontières et les cartes, une façon habile d'inscrire une nouvelle identité sur ce que nous étions véritablement - en y rajoutant une dose religieuse (christianisme, islam). Pour dire de façon laconique, ce que je ressens au plus profond de moi, je dirai : "JE ME CONNAIS DONC JE SUIS..." parce qu'il ne suffit pas de penser pour se connaître !
Hélas, en la matière, la division est la norme et l'unité, la réunification ou l'unification l'exception : il faudra d'abord passer sous les fourches caudines du droit international pour triompher de la division entre CONGO et RD CONGO. Au xxième, nous n'avons assisté qu'à une réunification avec les retrouvailles des deux Allemagne (Est-Ouest) - alors que l'apparition de nouveaux Etats sont plus nombreux : dislocation de l'empire soviétique en plusieurs Etats (Russie, Ukraine, etc.), éclatement de la Serbie jusqu'à l'apparition de l'Etat du Kosovo. Plus récemment, on peut citer l'apparition de la république Sud-Soudan. En conclusion, les penchants divisionnistes sont plus forts que les tendances à l'union.
Pour ma part, de mon humble point de vue, s'il y a deux Congo, l'explication remonte à l'époque coloniale quand De Brazza trahit le roi des Belges pour la France : s'il ne l'avait pas fait, les deux Congo seraient un même Etat car ce fut le roi des Belges qui finança la mission exploratrice de De Brazza. Les deux peuples portent les stigmates d'une unité passée au travers des groupes ethnolinguistiques,des échanges, de la mixité sociale. Un million de ressortissants de la RDC vivent au Congo avec des alliances matrimoniales nombreuses. De nombreuses denrées alimentaires qui nourrissent les Brazzavillois viennent de la RDC par Kinshasa. Somme toute, la division se situe au niveau politique. Il faut donc d'abord capitaliser sur le fond culturel et ethnique commun pour trouver les éléments d'un rapprochement et nous savons, par exemple, que le Bas-Congo en RDC est encore plus proche du Congo par la langue kituba.
Cela demande un travail politique impliquant les élites de deux pays pour créer les conditions d'un rapprochement. C'était le projet de Lumumba mais nous savons comment l'histoire s'est terminée : les Mobutu de l'histoire seront toujours là comme des briseurs de rêves...
Vu la perméabilité des frontières terrestres, la frontière véritable des deux pays se situe au niveau de l'existence de deux Etats et ce n'est pas une mince affaire de passer de deux Etats à un seul. Il faudra certainement compter sur les puissances du monde qui sévissent des deux côtés du fleuve Congo et qui s'en mettent plein les poches pour faire échouer le projet mais d'ores et déjà, le déséquilibre démographique est un gros handicap politique : en cas d'élections, il y a des chances que le président provienne toujours de l'actuelle RDC, raison suffisante pour qu'un homme comme Denis Sassou Nguesso s'y oppose.
Néanmoins, regardons dans le rétroviseur de l'histoire : le royaume du Congo couvrait l'Angola, le Congo, la RDC et une partie du Gabon. Hélas, le couteau du colon à la conférence de Berlin n'a pas respecté l'homogénéité culturelle. Il y a même des langues au Kénya et en Afrique du sud qui sont des langues bantoues ! La langue est le ciment d'une culture et par elle voyage le tsi qui se dissémine par les KANDAS constituant la nation. J'ai toujours émis l'hypothèse d'une nation unique du MUNTU avec une langue-mère originelle, langue qui s'est par la suite diversifiée. Quand les Tékés, les Koongos, les Vilis parlent, je comprends sans avoir besoin d'un traducteur, preuve qu'il existe un inconscient linguistique issue de la langue-mère commune qui subsiste en moi.
Je vous invite donc à m'introduire, si vous le pouvez, auprès de nos frères d'en-face qui portent encore les rêves de Lumumba pour que nous examinions ENSEMBLE comment passer du rêve à la réalité...
Avec, toute ma sympathie.